Sibylle
Une sibylle est une « prophétesse
», une femme qui fait œuvre de divination.
Dans la mythologie grecque, la
sibylle est une prêtresse d'Apollon qui personnalise la divination et
prophétise. Elles le faisaient dans un langage énigmatique permettant de
nombreuses interprétations, ce qui les mettait à l'abri de toute contestation
ultérieure. Fameuse est sa prophétie orale pour un soldat « Ibis redibis non morieris in bello ». Si une virgule est placée
avant le « non », la phrase devient «Tu iras, tu reviendras, tu ne mourras pas
en guerre », mais si la virgule était placée après le « non », la phrase est «
Tu iras, tu ne reviendras pas, tu mourras en guerre ».
Cette pratique, ainsi que
l'ambiguïté de leur apparence, a donné le qualificatif de « sibyllin » qu'on
attribue à des écrits ou des paroles obscures, énigmatiques, mystérieuses ou à
double sens. La sibylle figure l'être humain élevé à une dimension
surnaturelle, lui permettant de communiquer avec le divin et d'en livrer les
messages, tels le possédé, le prophète, l'écho des oracles, l'instrument de la révélation. Les
sibylles furent considérées comme des émanations de la sagesse divine, aussi
vieilles que le monde, et dépositaires de la révélation primitive : elles
seraient à ce titre le symbole même de la révélation. Aussi
n'a-t-on pas manqué de rapprocher le nombre des douze sibylles de celui des
douze apôtres et de peindre ou de sculpter leurs effigies dans des églises.
Les sibylles témoignent de
l'importance des croyances dans les pouvoirs divinatoires de certaines
personnes dans l'Antiquité : prophètes, pythies, et oracles…
Les origines du mythe ainsi que
l'étymologie du terme sont incertaines et disputées. On a pu les chercher dans
le monde indo-européen, par analogie avec des termes sanskrits par exemple,
aussi bien que dans la Mésopotamie antique.
Les douze sibylles
Au Ier siècle av. J.-C., on
dénombre douze sibylles :
● la sibylle d'Érythrée. Aussi appelée Hérophilé,
la sibylle érythréenne vient de la ville d'Ionie. C'est la fille de Théodoros
et d'une nymphe de l'Ida de Troade. Hérophilé a la particularité de donner ses
prédictions en vers. Elle a vécu au temps des Argonautes et de la guerre de
Troie. Elle est décédée à l'âge de cent-dix ans et est enterrée à Troade. Mais
certains disent que cette Sibylle d'Érythrée serait la même que celle de
Cumes...
●
la sibylle tiburtine ou Albunéa (de Tibur,
aujourd’hui Tivoli où se situent les ruines de son temple)
●
la sibylle hellespontine (à Dardanie, sur
l'Hellespont)
●
la sibylle phrygienne (de Phrygie, région
d'Anatolie)
●
la sibylle persique. Elle est la fille de
Berosos et d’Erymanthé et on la nomme parfois Sabbé.
● la sibylle libyque (exerce sa prophétie dans
l'oasis de Siwa). C’est la fille du dieu Zeus et de la fille de Poséidon, la
nymphe thessalienne Lamia. Elle fut appelée un peu plus tard Elissa.
●
la sibylle cimmérienne (des bords de la mer Noire)
●
la sibylle delphique (à Delphes)
●
la sibylle samienne (donne ses oracles sur l'île
de Samos)
●
la sibylle Agrippa (déformation probable d'Aegypta)
● la sibylle de Marpessos (de la ville de
Marpessos près de Troie). Elle s’exprimait, selon Héraclite, « d’une bouche délirante, sans sourire, sans
ornements, sans fards et sa voix parvenant au-delà de mille années grâce au
dieu ». Elle rendait ses oracles sous la forme d'énigmes et les inscrivait
sur des feuilles.
●
la sibylle de Cumes (près de Naples). Elle est
aussi appelée Amalthée. Elle a vécu en même temps qu’Énée et on lui accorde une
vie de mille ans. Le poète Ovide raconte dans ses Métamorphoses (XIV)
qu’Apollon, épris des charmes de la sibylle de Cumes, offrit de réaliser son
vœu le plus cher en échange de ses faveurs. Feignant d'accepter sa proposition,
elle lui demanda autant d'années de vie que sa main contenait de grains de
sable. Cependant, elle n'honora pas sa promesse. Or elle avait omis de formuler
son vœu de manière à conserver toujours la fraîcheur de ses vingt ans et sa
main contenait un millier de grains au moment de son vœu. Apollon l'exauça à la
lettre, changeant ainsi le souhait en malédiction. Elle se mit à vieillir
progressivement au fur et à mesure de son interminable existence, jusqu'à
demeurer toute recroquevillée dans une bouteille suspendue au plafond de sa
cave. Aux enfants qui lui demandaient ce qu'elle désirait, elle répondait : « je veux mourir ». Virgile décrit la
descente d'Énée aux Enfers accompagné de la sibylle de Cumes ; elle lui avait
montré où cueillir le rameau d'or, dans les bois sur les bords du lac d'Averne,
rameau qui devait lui permettre de pénétrer dans le royaume d'Hadès.
Divination chez les Romains
Les Romains conservaient
pieusement dans le temple de Jupiter Capitolin les Livres sibyllins, qui
auraient été vendus par une vieille femme (peut-être la Sibylle de Cumes) à
Tarquin le Superbe, au VIe siècle av. J.-C. Celle-ci se rendit auprès du roi
avec neuf livres oraculaires, et lui en demanda une énorme somme. Il se moqua
d'elle et la renvoya ; elle brûla trois des livres, et lui offrit les six
restants pour la même somme. Tarquin refusant toujours de payer, elle en brûla
trois autres, et lui offrit les trois derniers, toujours au même prix. Cette
fois-ci Tarquin consulta un conseil de prêtres, les Augures, qui déplorèrent la
perte des six livres et lui conseillèrent d'acheter ceux qui restaient.
Les livres sibyllins ont par exemple
été consultés durant l'année 194 av. J.-C. en raison de tremblements de terre.
Ces livres, confiés à la garde de
deux prêtres particuliers appelés duumvirs, étaient consultés dans les grandes
calamités, mais il fallait un décret du sénat romain pour y avoir recours, et
il était défendu aux duumvirs de les laisser voir à quelqu'un sous peine de
mort.
Ils ne contenaient pas de
prophéties, mais des remèdes expiatoires à appliquer lorsque surviennent des «
prodiges », événements exceptionnels particulièrement redoutés par les Romains.
En réalité le texte des Livres sibyllins était d'une obscurité telle que des
siècles plus tard, Cicéron, peu enclin à la crédulité, dira qu'on pouvait en
tirer ce que l'on voulait au gré des circonstances.
Après l'incendie du Capitole
(-83), plusieurs missions furent envoyées dans les pays supposés héberger des
sibylles, afin de reconstituer les ouvrages perdus. Contrôlés et expurgés par
Auguste et Tibère, ils furent finalement détruits par des fanatiques chrétiens
quelques siècles plus tard, en l'an 406, sous l'empereur Honorius (395-423), en
raison de la prédiction imputant à ces derniers la destruction de l'humanité.
Les sibylles, « prophétesses » du Christ ?
Parallèlement, circulent en
Méditerranée, dès le IIIe siècle av. J.-C., une série de livres connus sous le
nom d'Oracles sibyllins, dont certains sont parvenus jusqu'à nous via des
copies datant des XIVe et XVIe siècles. Ces livres, au nombre de douze ou
quatorze, comprennent des oracles antiques, des oracles juifs et des écrits
chrétiens.
Les Pères de l'Église
n'ignoreront pas ces textes obscurs. À leur suite et pendant longtemps, les
auteurs chrétiens chercheront, avec plus ou moins de bonheur, à voir dans les
vaticinations des Sibylles des marques sans équivoque de l'attente du Messie
sauveur par le monde païen.
Ainsi c'est dans le 8e livre des
Oracles sibyllins que l'on trouve des vers, attribués à la Sibylle d'Érythrée,
annonçant le second avènement du Christ le jour du Jugement Dernier. Cependant,
Virgile, qui vécut au Ier siècle av. J.-C. se fit aussi l’écho de cette
prophétie dans ces vers célèbres de ses Bucoliques : « Voici venir les derniers temps prédits par la sibylle de Cumes, et de
nouveau l’ordre qui fut au commencement des siècles. Voici revenir la Vierge et
voici l’âge d’or. Voici que va descendre du haut des cieux une race nouvelle.
Diane pure et lumineuse, protège cet enfant qui va naître et fermant l’âge de
fer ressuscitera sur toute la terre la génération du siècle d’or. ».
Les premiers chrétiens vont peu à
peu s'emparer de la sibylle et intégrer cette prophétie dans leur littérature
religieuse. Eusèbe de Césarée (vers 340) recueille les vers de la Sibylle
d'Érythrée, suivi de Saint Augustin un siècle plus tard, dans La Cité de Dieu.
Il en offre alors une version particulière, traduite très approximativement du
grec, comprenant 27 vers, soit 3×3×3, symbole de la Trinité. Elle
commence ainsi : Iudicii signum : tellus
sudore madescet (« le signe du jugement : la terre s'inondera de sueur… »).
Cette version augustinienne présente un acrostiche (ensemble de vers dont les
lettres initiales, lues dans le sens vertical, constituent un nom ou une
phrase) : « Jesus Christus dei filius
servator crux ». Elle est notamment citée dans un sermon du Moyen Âge
visant à convaincre les incroyants, lu à la veille de Noël. On y invoque tour à
tour des personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament, puis des figures
païennes : Virgile, Nabuchodonosor, et la Sibylle d'Érythrée.
De même, les Mirabilia Urbis Romae, sorte de guide de la Rome du milieu du XIIe
siècle, rapportent que l'empereur Auguste (63 av. J.-C. à 14 ap. J.-C.) ayant
interrogé la Sibylle de Tibur pour savoir s'il y aurait un homme plus grand que
lui, une vierge lui apparut alors dans une grande splendeur sur l'autel du
temple de Junon, tenant en ses bras un enfant, et une voix venant du ciel lui
disant : « Voici la vierge qui va
concevoir le sauveur du monde », puis, « celle-ci est la chère fille de Dieu ».
Des versions musicales du Iudicii signum ont été retrouvées dans
des manuscrits des monastères Saint-Martial de Limoges (IXe et Xe siècles) et
Saint-Oyand (XIIIe siècle). Ceci explique la mention dans le Dies irae de la
Sibylle et qu'elle figure à Saint-Pierre de Rome sur la fresque de Michel-Ange.
Après le concile de Trente
(1568), un nouveau bréviaire met fin à ces représentations de la Sibylle. Certaines
régions ont conservé une tradition de voir une sibylle costumée chantant la
nuit de Noël jusqu'au XVIIIe siècle, voire, à Majorque, jusqu'à nos jours.