Völva
Les anciens Germains appelaient
völva, vala ou wala en vieux haut allemand. Les termes seiðkona, spákona en
norrois, spaewife ou wicce (terme générique pour sorcière) en vieil anglais
sont utilisés pour les femmes pratiquant ou moins l'une des magies nordiques.
Elles sont des personnages récurrents de la mythologie germanique.
On a tendance à utiliser le
féminin völvas quand on parle de völur, car cet art était, depuis l'arrivé du
christianisme, essentiellement pratiqué par les femmes, même s'il y avait des
hommes et femmes qui pratiquaient au moins une de ces arts jusqu'au XIe siècle.
En effet avec l'arrivé du
christianisme, les hommes qui pratiquaient la sorcellerie ou la magie ne
bénéficiaient pas du même respect, parce qu'ils auraient eu un comportement
efféminé. La pratique était depuis lors réservée aux femmes. Le spá, en
particulier, fut interdit dès le début du christianisme aux hommes car il
exigeait en principe l’ergi (la féminité ou plutôt la non-masculinité). Avec
l'arrivé des valeurs chrétiennes, même pour les païens le fait de pratiquer le
seiðr ou le spá était considéré comme peu viril voire déshonorant. Plusieurs
sagas et écrits attestent de ce sexisme, telles que la Saga des Ynglingar, la
Saga d'Erik le Rouge et le Vatnsdœla saga.
Tâche héréditaire
Dans certains textes, la Völva
est supposée descendre directement (comme être humain) des anciennes entités du
Jötun, comme les dieux. Par exemple, Heiðr est, selon le Völuspá hin skamma, un
enfant du Jötun Hrímnir. On peut y lire aussi dans le Hyndluljóð :
Sont Tous les Völur
issus de Witolf,
Tous les sachants (magiciens)
issus de Willharm,
Tous ceux qui chantent les seid
sont issus de Svarthöfða (« tête noire »).
Le Völuspá hin skamma est un
poème dont on n'a que des fragments cités dans le Hyndluljóð de l'Edda poétique
et le Gylfaginning de l'Edda en prose de Snorri Sturluson.
Le rituel
L'initiation
Dans Grógaldr (« L'incantation de
Gróa »), on mentionne les conditions d'une initiation comme Volvo. Svipdagr est
envoyé pour une tâche impossible par sa marâtre Skaði, il doit trouver l'accès
à la salle de Menglöd (Menglöd veut dire « celle qui possède un joyau », un
kenning pour Freya, propriétaire du Brisingamen). Svípdagr demande alors de
l'aide à sa mère décédée Groa, une Völva (« Éveille-toi, Gróa, Éveille-toi,
excellente femme, Je t'éveille aux portes de la mort, […] »). Elle se réveille
du monde des morts pour incanter neuf formules de protection et dit que même
Skuld, l'une des Nornes, sera satisfaite de cela. Les neuf incantations sont
chantées du « rocher de la terre ferme ». Elles consistent en :
●
la liberté de toute pression, va ton propre chemin sans
culpabilité (chant du bonheur que Rane chanta pour Rind) ;
●
la maitrise de soi aux coups de tonnerre d'Urd (les
vicissitudes de la vie) ;
●
l'insensibilité aux courants puissants qui mènent au
royaume des morts, les vagues iront à Hel (l'Enfer) ;
●
l'aptitude de changer des ennemies en amis et de
changer des traits de caractère négatif en positif ;
●
l'épée magique qui brise toutes les chaînes ;
●
l'aide des éléments de la nature ;
●
la résistance au « froid glacé de la haute montagne » ;
●
la protection contre l'ombre d'une femme chrétienne
(Svipdagr est un homme) ;
●
la connaissance des mots d'émotion pour un échange avec
« le géant à la lance ».
Rituel du seiðr
Dans la saga d'Erik le Rouge, on
raconte comment la Völva Þórbjörgr, ou Þorbjörg Lítilvölva, procède à un seiðr.
Avant son arrivé, la maison est nettoyée de fond en combles. La grande chaise,
habituellement réservée au maître des céans ou sa femme, était agrémentée de
coussins. Quand la Völva entre la pièce, elle est saluée avec révérence par la
maisonnée et conduite au haut siège. Là on lui présente un repas préparé pour
elle uniquement. C'est un porridge de céréales et de lait de chèvre, et un
ragoût fait avec le cœur d'un représentant de tous les animaux de la maison. Elle mange
les plats avec une cuillère en cuivre et un couteau épointé.
La Völva est hébergée pour la
nuit et le lendemain était réservé à sa danse. Pour danser le seiðr, elle a besoin
de certains outils. D'abord, on lui a construit une plate-forme spéciale. Un
groupe de jeunes femmes se mettent assises autour d'elle. Les jeunes femmes
chantent une chanson spéciale pour appeler les pouvoirs avec laquelle la Völva
désire communiquer.
Dans une loi islandaise du XIIIe
siècle, on parle du seiðr comme útiseta at vekja tröll upp ok fremja heiðni («
útiseta (assis dehors) pour réveiller les trolls et pratiquer des rituels
païens »). Cette activité y est punie par la peine de mort. Encore en 1854, on
parle d'« une sorcellerie spécifique […] où le mage passe la nuit à l'air libre
[…] surtout pour prédire l'avenir. »
La tenue rituelle
Dans la saga d'Erik le Rouge, qui
a lieu au Groenland, la Völva apparaît dans un manteau bleu ou noir avec des
pierreries incrustées sur le bord. Le manteau tombe jusqu'aux pieds. Dans sa
main, elle tient le seiðstafr, celui-ci est en cuivre couverts de pierres
semi-précieuses sur le haut. Dans le Örvar-Odds saga, la seiðkona porte aussi
un manteau bleu ou noir et porte aussi un seiðstafr.
Dans la saga d'Erik le Rouge, on
mentionne aussi un collier de perles de verre et un couvre-chef en peau de
mouton noir et de chat blanc. Elle porte une ceinture avec une pochette
contenants les outils du seiðr.
Elle porte des souliers de cuir
de vachette et des lacets aux bouts cuivrés ; Elle porte des gants de peau de
chat blanc, fourrure tourné vers l'intérieur.
Le seiðstafr
Le seiðstafr est une quenouille,
symbolique ou effective, en cuivre ou en bois. Cette quenouille est le bâton
symbole du pouvoir magique du Völva. Celui qui est frappé avec ce bâton trois
fois sur la joue perd ses souvenirs.
Des liens invisibles pouvaient
être tissés entre le baume du métier à tisser et un être humain (guerrier par
exemple). Quand une sorcière défaisait un nœud dans son œuvre, elle pouvait par
exemple délier un membre d'un héros-guerrier (bras ou jambe). Cela fait aussi
référence au « nouage de l'aiguilette » où l'on immobilise le membre viril.
Quand elle faisait un nœud, elle pouvait arrêter l'avancé de l'armée ennemie,
car, dans la mythologie nordique, c'est Freyja qui commença la première guerre.
Il appartient donc aux völur de décider du début ou fin de la guerre par leur
magie. C'est probablement la raison pourquoi Harald Ier de Danemark, en guerre
contre l'empereur romain d'orient garde auprès de lui une völva à Fyrkat.
La quenouille fait ici référence
aux Nornes et leurs pouvoirs magiques. Dans le Helgakviða Hundingsbana I, des
femmes généralement interprétées comme des Nornes arrivent au berceau de Helgi
Hundingsbane et lui tissent un avenir de Héros. Il est possible que ces
personnages ne soient pas des Nornes, car elles ne sont jamais nommées comme
telles, mais des Völur. Beaucoup de quenouilles trouvés dans les tombes on une
espèce de petit panier au sommet qui sert peut être pour le filage du lin. Si
l'on tient compte que le mot seiðr pourrait être traduit par « fil tissé avec
une quenouille », pratiquer la magie peut être considéré comme tisser des fils
spirituels.
La notion de « coté quenouille »
(distaff side) était utilisée en Angleterre jusqu'au XIXe siècle pour indiquer
le lignage maternel (fille de X, fille de Y). Pour le coté paternel on parlait
de « coté de l'épée » ou « coté de la lance ».
Les dieux dédiés des Völur
Freya
La déesse qui s'occupe de magie
est avant tout Freyja. C'est la déesse auquel on fait le plus référence quand
on parle de Völur.
Freyja est identifiée ainsi dans
la saga des Ynglingar et il y est aussi que c'est elle qui l'enseigna à Oðinn :
« Fille de Njǫrðr était Freyja. Elle présidait
les sacrifices. Ce fut elle qui en premier présenta le seiðr aux Æsir car elle
était déjà connu par les Vanir. »
Sif
Dans le prologue de l'Edda en
prose, une Völva explique l'origine de la déesse Sif, femme de Thor. On y explique qu'elle
fut une spákona.
Odin
C'est Freyja qui a enseigné le
seiðr à Odin. Même en tant que dieu guerrier, il est plus faible que Freyja
dans la magie de la
guerre. Dans le récit de Paul Diacre (plus haut), les
Vandales s'adressent à Odin (Godan) pour obtenir la victoire mais les Lombards
qui s'adressent par contre à Frea (Freyja/Frigg), à travers la reine mère,
gagnent. Par contre, dans le Rúnatal, une section du poème Hávamál, la
découverte des runes (et leur propriétés magiques) est attribuée à Odin. C'est
donc un mage à part entière.
Disparition
La disparition des prophétesses
germaniques est liée à la christianisation : l'Église catholique romaine,
l'Église d'Angleterre, l'Église luthérienne et l'Église réformée, secondées en
cela par les autorités civiles, prirent diverses mesures à leur encontre, comme
le montre cet extrait du Droit canon :
« Toute sorcière, toute conjureuse, tout nécroman ou toute prostituée
manifestement infectée trouvée sur le territoire sera expulsée. »
« Nous demandons à chaque prêtre d'éradiquer le paganisme et
d'interdire la wilweorthunga (culte des sources), la licwiglunga (nécromancie),
la hwata (divination), la galdra (magie), l'idolâtrie et toutes les
abominations pratiquées par les hommes comme sorcellerie, et frithspottum
(culte des bosquets) avec des ormes et autres arbres, des alignements de
pierre, et toute sorte de fantômes. »
Elles furent persécutées au cours
de la christianisation, qui conduisit d'ailleurs à un confinement extrême du
rôle des femmes dans les sociétés germaniques dès le XIe siècle.
Témoignages archéologiques
On a retrouvé une quarantaine de
tombes contenant des quenouilles. Cela n'indique pas forcément des tombes de
Völur, mais certaines de ces tombes méritent d'être mentionnées.
La Tombe de Frytkat (Danemark)
C'est l'une des tombes les plus
riches connues dans cette région. C'est une tombe à char contenant un corps
féminin. Outre les bijoux d'orteils et la boucle de ceinture de Gotland, on a
trouvé dans la tombe des objets finnois et russes. À ses pieds se trouvait une
boite avec une pelote de réjection d'un hibou, des ossements divers de petits
mammifères et d'oiseaux et un sachet de graines de la jusquiame noire. Quand
ces graines sont jetées dans un feu elles produisent une fumée hallucinogène
qui donne l'impression de voler.
Une amulette d'argent trouvée
dans la tombe semble confirmer sa position de völva. L'amulette est en forme de
chaise taillée dans un tronc et fait probablement référence à la plate-forme
utilisée pour le seiðr sur laquelle la völva faisait ses rituels ou elle peut
aussi faire référence au Hlidskjálf ; le trône depuis lequel Odin regardait le
monde.
La tombe d'Oseberg (Norvège)
Cette façon somptueuse
d'enterrement a été utilisée pour deux tombes. Toutes les deux étaient occupées
par des corps féminins. Dans la première tombe, on a trouvé une quenouille en
bois. Dans la seconde, 4 graines d'une plante de cannabis, plante qui a
probablement été utilisée pour remplir les coussins qui soutenaient le corps,
et des graines de chanvre dans une petite pochette en cuir.
La tombe de Flöksand (Hordaland, Norvège)
On y a trouvé un couteau en os
sur lequel on a gravé en écriture runique « linalaujaR ». Le lin et le laukR
sont liés à la divination.
La tombe d'Hagebyhöga ou d'Aska (Östergötland, Suède)
Cette tombe date de l'âge du fer.
La femme qui y est enterrée ne fut pas seulement ensevelie avec une quenouille,
mais aussi avec ses chevaux et son char. Elle fut enterrée sous 6 mètres de
feuilles de roses blanches et des bijoux à breloques en or et argent. Une des
pendentifs est particulière, il représente une dame avec un grand collier. Ce
type de collier fut surtout porté par des dames de haut rang à cette époque. On
a tendance à l'interpréter comme Brísingamen. Le personnage représenté pourrait
symboliser Freyja, déesse des Völvur.
La tombe de Birka (Suède)
À Birka, on a trouvé une tombe
mixte dont on pense que l'une des corps est une Völva et l'autre celui d'un
Chef de Guerre. Par-dessus les deux corps était mise une lance pour dédier les
deux corps à Odin. La femme a été enterrée avec sa quenouille et donc dédiée à
Freyja.
De nos jours
Ásatrú
Il y aurait un renouveau des
traditions liées aux Völva dans les milieux Ásatrú (néopaganiste germaniques).
Ces traditions liées aux Völur sont décrites par les écrivains américains
Yngona Desmond, Diana Paxon, et Kari Tauring.
Anecdotes
En islandais, le mot pour
ordinateur est tolva, elle a été créée à partir des mots tala (nombre) et
völva. L'ordinateur est donc la « sorcière des nombres ».