Le Petit Peuple
Il y a bien longtemps, quand la
majorité des hommes de Land's End s'embarquait la nuit sur leurs petits bateaux
pour s'en aller pêcher au pied de la barrière rocheuse qui suit le littoral,
ils avaient très fréquemment l'occasion de voir les Faeries de Castle Treen.
De nombreux navires, en panne sous
les falaises de Pedn-y-Vounder y séjournaient plus longtemps que prévu : leurs
équipages alors pouvaient prendre le temps de regarder le Petit Peuple en
activité. Ils pouvaient voir des milliers de ces esprits pleins de délicatesse
se déplacer dans des jardins minuscules à flanc de falaise, en équilibre à
mi-hauteur du précipice, surplombant de cents pieds les noires déferlantes de
l'océan.
Délicatement éclairés par la lumière
des bougies, les jardins regorgeaient de fleurs dont le parfum, porté par le
vent de terre, parvenait jusqu'aux pêcheurs fascinés, accompagné d'airs
musicaux provenant des banquets des Faeries. C'est à ce moment-là, quand la
senteur des fleurs et l'écho des mélodies leur parvenaient, que les hommes
devaient rapidement partir en pêche, par crainte du fatal enchantement que ce
contact magique risquait de provoquer.
Le plus féerique des peuples de
Cornouailles est sans conteste le Petit Peuple, serviable, inoffensif, toujours
gracieux. Comme le Piskey, ils entrent dans la maison du malade, du vieillard
et du pauvre apportant avec eux fleurs sauvages et chansons entraînantes,
danses endiablées et extravagances insouciantes. Mais le plus souvent pourtant,
quelques humains ont eu la chance de les voir sur leurs foires ou leurs marchés
dans une clairière forestière, dans des jardins féeriques emplis de senteurs et
de musique, peut-être sur les replats des falaises qui dominent la mer ou à
l'abri des cairns de la lande. Malheureusement, de telles visions demeurent le
privilège de quelques-uns et ceux qui pénètrent dans ces domaines féeriques
viennent irrémédiablement grossir leur nombre.
Les descriptions des individus
constituant le Petit Peuple ne sont pas uniformes, mais elles sont unanimes
pour les dépeindre comme formant un peuple enjoué, gracieux et svelte, guère
plus haut que le genou. Invariablement, ils sont rapides à la course, bien
qu'ils n'aient rien contre le fait de chevaucher un lièvre s’ils sont
particulièrement pressés. Ils portent toujours des vêtements riches et
élégants, de satin ou de velours, ornés de dentelles et de bijoux d'argent ou
d'or, incrustés de diamants. Les dames portent des robes à crinoline et leurs
cheveux bouclés et poudrés sont remontés haut sous des chapeaux pointus ; les
messieurs sont parfois en uniforme de soldats ou en tenue de chasse mais en
majorité, ils portent des gilets bleus clairs et de courts pantalons verts, et
sont coiffés d'élégants tricornes ornés de dentelles et de clochettes d'argent.
Comme leurs dames, ils ont de grands yeux sombres et lumineux mais si les
premières sont pâles et délicates, les visages des hommes sont burinés.
Les temps ont changé en
Cornouailles, pour le meilleur ou pour le pire. Quelques-uns qui vivent dans ce
conté aujourd'hui ont de bonnes raisons d'aller voir ailleurs et pour ce qui
est de la région elle-même, quel que soit le lieu et le moment, son Petit Peuple
se sent comme à l'étranger. Un nombre infime de gens travaille encore sous
terre à la recherche de ces riches minerais que les Knockers étaient si habiles
à dénicher. Dans bien des cas cependant, ce Petit Peuple de Cornouailles peut
prendre ses aises plus que jamais auparavant, rarement perturbé par un
cueilleur de champignons ou par un dénicheur d'œufs de mouettes sur un rebord
de falaise, par un voyageur solitaire sur un obscur sentier traversant la lande
après la chute du jour ou par des mineurs à l'extrémité d'une galerie. La
propagation de l'instruction a permis bien sûr à nombre de gens de se montrer
sceptiques quant à leur existence, mais en Cornouailles où ces anciennes
croyances ont la vie dure, le scepticisme absolu est beaucoup moins palpable.
Et il est de fait que ce n'est pas parce que vous ne croyez plus en ces
créatures merveilleuses qu'elles cessent totalement d'exister.