Black
Robin
Il y avait autrefois dans
le nord du Pays de Galles un vieil homme qui s'appelait Robin Ddu, ou Black
Robin. Il prétendait qu'il était sorcier et bien qu'il n'eut aucun pouvoir
magique, il était si rusé qu'il faisait croire aux gens qu'il en avait. Sa
renommée s'étendit sur le Pays de Galles tout entier.
Une Dame du Vale de Towy
avait égaré trois pierres précieuses. Elles lui avaient été données par sa sœur
qui était morte et elles avaient pour elle une bien plus grande valeur que leur
valeur réelle. On les avait cherchées partout ; on ne les avait pas retrouvées.
La Dame n'avait
pas entendu parler de la
Fontaine de Llanbedrog, grâce à laquelle il est très facile
de découvrir qui s'est emparé de votre bien. Tout ce que vous avez à faire est de
vous agenouiller et d'y jeter alors des morceaux de pain dans lesquels vous
avez roulé des morceaux de papier portant les noms des différentes personnes
que vous soupçonnez. Quand vient le nom du voleur, le pain coule. Elle avait,
par contre, entendu parler de Black Robin. Elle se résolut à l'envoyer
chercher. Elle dépêcha un domestique dans le nord du Pays de Galles pour lui
proposer cinquante livres s'il retrouvait ses diamants perdus.
Robin accompagna le
messager dans le sud. En arrivant, il dit qu'il ne commencerait pas ses
recherches avant qu'on ne lui remette en mains propres les cinquante livres.
- Cinquante livres, c'est
une somme, dit la
Dame. J'aimerais prendre la mesure de votre pouvoir avant de
vous les donner.
A cela, Robin consentit à
contrecœur. La Dame
cacha un rouge-gorge apprivoisé sous un plat sur la table. (Rouge-gorge en
anglais se dit Robin.) Elle envoya chercher le prétendu magicien et lui demanda
de lui dire ce qu'il y avait sous le plat creux. Il ne savait plus ni quoi
faire, ni quoi dire. Il pensa donc que la meilleure solution pour lui était de
confesser son ignorance.
- Robin est piégé,
dit-il.
Pensant qu'il faisait
allusion à l'oiseau et non à lui-même, la Dame fut ébahie devant ce qu'elle prit pour une
merveilleuse démonstration de son pouvoir. Robin bien trop rusé se garda bien
de la démentir.
La
Dame lui donna l'argent. L'enquête sur les pierres
put donc commencer. La première chose qu'il fit, fut de se renseigner
soigneusement sur toutes les circonstances qui avaient entouré la disparition
des bijoux, en interrogeant minutieusement tous les gens de la maison. Cette
enquête le convainquit que l'un des domestiques les avait volés, mais à ce
moment là il ne pouvait pas encore dire lequel. Un jour, comme il était sorti
pour prendre l'air en compagnie d'un domestique, ses pas le menèrent au
cimetière. Le fossoyeur en creusant une tombe avait mis à jour un grand nombre
de vieux os, parmi lesquels se trouvait un crâne. Robin emporta le crâne dans
sa chambre. Son compagnon ahuri en parla à l'office. Puis, Robin convoqua tout
le personnel et prenant un air très sévère, il dit :
- Demain soir, je
convoquerai une légion de diables. Ils puniront le coupable en lui infligeant
toutes les tortures de l'Enfer. Mais l'innocent ne doit pas être confondu avec
le coupable. Prenez ceci, et en disant cela, il déposa dans la main de chacun
une dent qu'il avait arrachée au crâne. Vendredi matin - on était le mercredi -
le coupable, après avoir connu des angoisses et des souffrances inexprimables,
sera aussi froid et aussi mort que le squelette auquel ces dents ont été
prises. Mais je n'invoquerai pas mes diables si les pierres me sont restituées
avant minuit, ni ne révélerai à quiconque qui les a prises.
Bien évidemment, le jeudi
avant minuit, une servante tout apeurée lui rapporta les diamants. Il lui
fallait maintenant trouver le moyen de les restituer à leur propriétaire sans
dévoiler la manière dont il les avait récupérés. Il fallait aussi que son
crédit en tant que magicien n'eut pas à en souffrir. En regardant par la
fenêtre le matin, il vit un troupeau d'oies picorant dans un champ non loin de
la maison.
Il sortit en emportant
avec lui un petit morceau de pain dans lequel il avait dissimulé les pierres.
Il jeta ce pain au jars qui, goulûment, l'avala aussitôt. Quelques temps après,
il fit appeler la Dame
et lui dit :
- Tuez ce jars. Vous
retrouverez dans son corps votre trésor perdu.
Ce qui fut fait et les
diamants retrouvés.
- Ils ont dû tomber sur
le sol et être accidentellement balayé avec la poussière qu'on jette dehors,
expliqua-t-il. Cet oiseau avide les aura avalés. C'est grâce au crâne que le
fossoyeur a trouvé mercredi que j'ai pu élucider ce mystère.
Goronwy
Tudor et les Sorcières
de Llanddona
Dans d'autres temps fort
anciens, très peu d'hommes en Anglesey osaient croiser la route des sorcières
de Llanddona. Ceux qui étaient assez courageux pour s'y risquer, payaient très
douloureusement leur imprudence. Mais Goronwy Tudor, qui n'habitait pas très
loin de Llanddona, fut assez téméraire pour aller jusqu'à défier Bella Fawr en
personne, la grande Bella,
la plus célèbre et la plus redoutée de toutes les sorcières de ce mystérieux
village, et il ne fut pas le plus ridicule.
Mais peut-être ne connaissez-vous
pas l'histoire des sorcières de Llanddona. Il y a bien longtemps, un bateau
s'échoua sur Red Wharf Bay, la
Baie du Quai rouge, sans gouvernail ni rames, chargé d'hommes
et de femmes à demi morts de faim et de soif. Autrefois, c'était une règle d'embarquer
les malfaisants sur un bateau qu'on laissait dériver sans rames et sans
gouvernail au gré des courants marins. Quand ce bateau fut déporté par le vent
et par les vagues sur les splendides sables de Llanddona, les braves gens qui
vivaient là s'apprêtèrent à le remettre en mer, pensant qu'il était rempli de
criminels. Les étrangers firent jaillir du sable une source d'eau pure - une
fontaine en témoigne encore - ce qui décida de leur destin. On leur permit de
rester et de construire des petites maisons. Mais cela ne changea rien à leur
nature mauvaise. Les hommes vivaient de contrebande, les femmes mendiaient et
pratiquaient la
sorcellerie. Il était impossible dans une bagarre d'avoir le
dessus sur les contrebandiers, car chacun d'eux portait sur lui une mouche
noire dans un nœud de son foulard. S’ils tombaient sur des adversaires plus
forts qu'eux, ils dénouaient leurs cravates et les mouches s'engouffraient dans
les yeux de leurs ennemis et les aveuglaient. Les femmes avaient pour coutume
d'aller de ferme en ferme pour y demander une livre de beurre, une miche de
pain, quelques pommes de terre, des œufs, une volaille, un quartier de porc ou
que sais-je encore, qu'on ne leur refusait pas. Car elles maudissaient celui
qui s'y aventurait. Si elles se rendaient à un marché ou à une foire, personne
ne s'aventurait à enchérir sur elles.
Mais Goronwy Tudor n'en
avait pas peur. Il portait une marque de naissance sur la poitrine : ce qui
constitue une grande protection contre la sorcellerie et il savait comment
rompre pratiquement tous les envoûtements. Il avait une plante qu'on appelle le
navet de Marie qui poussait juste devant chez lui ; il avait aussi cloué des
fers à cheval au-dessus de chacune de ses portes et tracé des cercles avec du
frêne des montagnes sous tous ses montants de porte : sa maison et toutes les
dépendances de sa ferme étaient ainsi protégées du mauvais sort. Pour s'en
protéger doublement, il avait répandu de la terre du cimetière dans toutes les
pièces, dans l'écurie, dans l'étable et dans la porcherie. Quand
les bêtes étaient aux champs, il avait par contre quelques difficultés pour les
protéger du mal.
Un jour qu'il allait
chercher ses vaches au pré pour la traite, il les trouva assises comme des
chats devant un feu, les pattes arrière repliées sous elles. Goronwy prit une
peau de vipère, la brûla et en dispersa les cendres au-dessus des cornes des
vaches. Elles se levèrent aussitôt et rentrèrent de leur habituel pas de
sénateur à l'étable. Une autre fois, le lait ne voulait pas se transformer en
beurre et une très mauvaise odeur sortait de la baratte. Goronwy
prit une barre à mine, la chauffa au rouge et la plongea dans le lait. Un grand
lièvre en sortit d'un seul bond et fila à toute jambe par la porte grande
ouverte de la laiterie. Le
lait put alors être transformé en un excellent beurre. Quelques temps après, la
production de lait commença à décroître et le beurre qu'on en tirait était si
mauvais et puait tellement que même les chiens n'en voulaient plus. Le lait
diminua, diminua et à la fin il n'y en eut plus du tout. Les vaches
produisirent du sang. Goronwy surveilla les champs et une nuit, il vit un
lièvre s'approcher d'une vache et la téter. Le lièvre régurgita le lait qu'il venait
de prendre par la bouche et les narines et passa à une autre vache. Il procéda
de même avec, ainsi qu'avec toutes les autres vaches du troupeau. Goronwy
savait que c'était la
vieille Bella qui avait pris l'apparence du lièvre : il se
prépara donc pour que ses malveillances cessent et qu'elle soit châtiée. La
nuit suivante, il prit son fusil, le chargea non avec une balle - les balles ne
perforent pas la peau des sorcières - mais avec une pièce d'argent et plaça un
peu de verveine sous la
souche. Quand il vit le lièvre sucer le lait des vaches, il
fit feu. Le lièvre s'enfuit immédiatement à vive allure vers chez Bella.
Goronwy le poursuivit. Il n'avait plus ses jambes de vingt ans, mais il
s'arrangea pour ne pas le perdre de vue. Il le vit bondir par dessus la
demi-porte de la maison. En
s'approchant de celle-ci, il entendit des gémissements horribles. Il arriva à
la porte et entra. Il n'y avait de lièvre nulle part. La vieille Bella était
assise près du feu. Du sang lui coulait sur les jambes. Il ne fut plus jamais
victime de la vieille
Bella sous sa forme de lièvre et en faisant couler le sang de
la bête ensorcelée, il avait rompu le sortilège.
Bella fit encore une
tentative pour lui nuire. Elle se rendit à la Fontaine Glacée, la Cold Well, et lança sur
lui la grande malédiction des sorcières de Llanddona :
- Puisse-t-il errer
durant des siècles, et à chaque pas une marche, et pour chaque marche, une
chute, et pour chaque chute, un os brisé ; ni le plus grand, ni le moindre ;
mais l'os du cou, toujours et à chaque fois. Goronwy
sentit jusque dans ses os qu'il avait été maudit. Il prit du beurre de sorcière
que l'on trouve sur les arbres décomposés et y planta des aiguilles. Quand la
douleur due aux aiguilles pénétra son corps, Bella dut bon gré mal gré
apparaître devant lui. Elle hurlait de douleur, mais Goronwy refusa de retirer
du beurre les aiguilles qui lui provoquaient ces maux jusqu'à ce qu'elle dise :
- Rhad Duw arnat ti ac ar
bopeth ar a feddi - Que Dieu te protège, toi, tes biens et tout ce à quoi tu
tiens.
Après cela, ni Bella, ni
aucun membre de sa tribu n'eurent plus aucun pouvoir sur Goronwy, son épouse,
son valet de ferme, sa servante, son bœuf, son âne, ou n'importe quoi qui fut
sien.
John
Gethin et la Chandelle
A Ystradgynlais,
autrefois, il y avait un sorcier qui avait une main d'acier. Grâce à sa magie,
il avait découvert qu'un énorme trésor était caché sous Mynydd y Drum. Et qu'il
pourrait se l'approprier à condition qu'il trouve un courageux compagnon qui
accepte de passer la nuit avec lui sur la montagne près du rocher sous lequel
se trouvaient or et argent. Il eut cependant bien du mal à dénicher l'oiseau
rare. Il proposa l'affaire à tous ses amis, à toutes ses connaissances. En
vain. Ils avaient peur et ne voulaient pas se lancer dans une aventure si risquée.
Un jour, cependant, John Gethin, un jeune homme téméraire qui prétendait ne
craindre ni le ciel, ni la terre, ni les eaux souterraines, s'offrit à
accompagner l'homme à la main d'acier à condition d'avoir la moitié du trésor.
Une nuit bien sombre, les
deux hommes se rendirent sur la montagne et établirent leur campement sur une
nappe d'herbe près du rocher sous lequel le sorcier disait que le trésor était
caché.
- Maintenant, dit le
magicien, je vais évoquer l'esprit qui garde le trésor afin qu'il se présente
devant nous.
Il enfila une longue robe
noire couverte de signes cabalistiques, se barda le corps de peaux de serpents
attachées ensemble et posa sur sa tête une coiffe en peau de mouton surmontée
d'un panache de plumes de pigeons. Dans la main, il tenait un fouet dont la
mèche était une tresse de peaux d'anguilles et la poignée, un os. Avec
celui-ci, il dessina sur l'herbe, deux cercles qui se touchaient pour former un
8. Puis, il prit un grand livre noir, alluma un cierge et se mit à l'intérieur
de l'un des cercles.
- Mets-toi au milieu de
l'autre, dit-il à Gethin, et quoi qu'il arrive, n'en sors pas.
Gethin fit ce qu'on lui
demandait. Le sorcier ouvrit son livre et se mit à lire :
- Je t'adjure et je
t'invoque par le silence de la nuit, par les saints rites de la magie, par la
kyrielle de légions infernales, de te présenter sans retard ici et de
satisfaire à mon exigence par la puissance des mots contenus dans ce livre.
Il répéta cette formule
trois fois. La première fois, un taureau monstrueux leur apparut, meuglant
horriblement, mais le téméraire Gethin ne bougea pas et le taureau s'évanouit.
La seconde fois, une chèvre gigantesque chargea rageusement Gethin, mais comme
il ne bougea pas davantage, la chèvre elle aussi s'évanouit dans les airs. La
troisième, un énorme verrat hérissé fonça sur lui tête baissée et un énorme
lion qui crachait du feu se tapit puis bondit. Mais Gethin resta de marbre.
Aussitôt que ces effrayantes apparitions franchissaient le cercle dessiné par
le magicien, elles s'évanouissaient dans l'espace. Alors un immense cercle de
feu incandescent, rugissant effroyablement, fila tout droit sur le pauvre
Gethin. A cet instant, son courage se déroba. Il fit un écart en dehors du
cercle. A peine eut-il posé le pied en dehors que le cercle de feu prit la
forme de l'Ennemi du Genre humain et se mit à tirer le pauvre Gethin vers
l'extérieur. L'homme à la main d'acier l'attrapa comme il put et se mit à le
tirer vers l'intérieur. Le pauvre Gethin se retrouva presque coupé en deux au
cours de cette lutte qui opposait les deux puissances. L'Ennemi de l'Humanité
était en train de prendre le dessus quand le sorcier s'écria :
- Par les puissances de
l'Est, Athanaton, de l'Ouest, Orgon, du Sud, Boralim, du Nord, Glauron, je te
somme et te commande de laisser vivre cet homme tant que cette chandelle pourra
brûler.
Le Mauvais relâcha Gethin
et disparut. Le sorcier aussitôt souffla la chandelle et la remit à Gethin.
- Si tu n'avais pas fait
cet écart en dehors du cercle, dit-il, tout ce serait bien passé. Mais comme tu
as désobéi à mes instructions, c'est l'unique sursis que je puisse te garantir.
Mets cette chandelle dans un endroit sûr. Aussi longtemps qu'elle pourra durer,
tu demeureras en vie.
Gethin rentra chez lui et
prit grand soin du bout de chandelle, le posant dans l'endroit de la maison le
plus frais qu'il puisse trouver. Le temps passa et la chandelle se détériora
bien qu'elle n'eut jamais été allumée. Gethin n'était jamais redevenu le même
après sa terrible nuit sur la montagne et lorsqu'il retrouva la chandelle
abîmée, il la prit vers son lit. Comme la chandelle continuait à se ratatiner,
il fit la même chose. Après quelques années, ils s'éteignirent tous les deux en
même temps. Le sorcier l'assista durant les dernières heures de sa vie.
Ceux qui portaient le
cercueil supposé contenir les restes de Gethin le trouvèrent passablement
léger. La rumeur se répandit que le corps de Gethin avait disparu avant qu'on
ne cloue la bière et que le sorcier l'avait remplacé par de l'argile pour
préserver les apparences. Mais personne ne fut assez hardi pour ouvrir le
cercueil et y chercher la vérité.
Les
Sorcières- Chattes
Huw Llwyd de Cynfael était
le septième d'une lignée de garçons ; par conséquent, il était magicien de
naissance. Il accrut ses connaissances en magie noire par l'étude des livres.
Et il mangea de la chair d'aigle, pour que ses descendants puissent pendant
neuf générations poursuivre son œuvre. Tout ce qu'ils avaient à faire consistait
à cracher dans les vagues en psalmodiant :
- Père aigle, mère aigle,
je vous envoie au-delà des neuf mers, et au-delà des neuf montagnes et au-delà
des neuf acres de terres incultes, où il n'est point de chien pour aboyer,
point de vache pour meugler, point d'aigle pour voler plus haut .
Ce qui est très simple. Un
soir, Huw Llwyd s'arrêta dans une auberge de Pentre Voelas pour se restaurer.
Quatre hommes entrèrent et vinrent s'installer à sa table. Grâce à son art de
la magie, Huw Llwyd sut qu'il s'agissait de bandits d’Yspytty Ifan qui avaient
l'intention de le tuer pendant la nuit pour le détrousser. Il fit pousser une
corne au centre de la table et contraignit les voleurs à la fixer. Il alla se
coucher et le matin, quand il redescendit les quatre hommes avaient encore le
regard fixé sur la corne, comme il s'y attendait. Il s'en alla les laissant
dans leur contemplation : ils furent arrêtés dans cet état et conduits en
prison.
De nombreux vols avaient
lieu dans une auberge près de Bettws-y-Coed. Les voyageurs qui faisaient halte
dans cet endroit étaient systématiquement dépouillés de leur argent et ne
pouvaient pas en donner d'explication. Ils étaient sûrs que personne ne s'était
introduit dans leur chambre, car on retrouvait celles-ci fermées à clé le matin
comme on les avait laissées le soir. Huw Llwyd fut consulté : il promit
d'éclaircir ce mystère.
Il se présenta à l'auberge
un soir et, prétendant qu'il était officier et regagnait l'Irlande, demanda à
être hébergé pour la
nuit. L'auberge était tenue par deux sœurs. Elles étaient
toutes deux très gracieuses et furent très serviables avec lui pendant tout le
repas. Pour ne pas demeurer en reste, il leur raconta de son mieux des récits
de voyage dans des pays étrangers où il n'avait jamais mis les pieds. En
prenant congé pour aller se coucher, il dit qu'il avait contracté cette
habitude d'avoir sa chambre éclairée toute la nuit ; on l'approvisionna
suffisamment en chandelles pour qu'il ait de la lumière jusqu'au matin. Huw
Llwyd se prépara à une nuit de veille. Il posa ses vêtements sur le sol pour
pouvoir s'en saisir facilement et son épée, nue, sur le lit à portée de la main. Il boucla la porte,
se glissa dans le lit et fit semblant de dormir. Peu de temps après, deux chats
descendirent furtivement par la cheminée. Ils fouinèrent ici et là dans la chambre. Le dormeur
allongé sur son lit demeura immobile. Ils se coursèrent autour du lit, se
pourchassèrent et jouèrent en faisant du bruit, mais le dormeur ne bougeait
toujours pas. Enfin, ils s'approchèrent de ses vêtements et jouèrent avec, les
retournant dans tous les sens. Bientôt le dormeur (qui n'avait pas dormi un
seul instant) vit l'un des chats glisser sa patte dans la poche qui contenait
sa bourse. Rapide comme l'éclair, il abattit son épée sur la patte voleuse. En
poussant un horrible hurlement les deux chats disparurent par la cheminée. Il n'y eut
aucune autre tentative de leur part durant le restant de la nuit.
Le lendemain matin, seule
l'une des deux sœurs apparut à la table du petit déjeuner. Huw Llwyd demanda où
se trouvait l'autre. En obtenant pour réponse qu'elle était malade et ne
descendrait pas, il exprima ses regrets et poursuivit son repas. Le repas
terminé, il dit :
- Je m'en vais maintenant
poursuivre mon voyage, mais j'aimerais dire au revoir à votre sœur car j'ai
beaucoup apprécié sa compagnie hier soir.
De nombreux prétextes
furent mis en avant pour l'en dissuader, mais il insista tant qu'il fut enfin
admis à se présenter devant elle. Après avoir fait preuve de compassion et lui avoir
demandé s’il pouvait lui être utile à quelque chose, il lui tendit la main pour
lui souhaiter l'au revoir. La malade lui tendit sa main gauche.
- Non, dit Huw Llwyd en
riant, je ne vais pas vous serrer la main gauche. Je n'ai jamais serré une main
gauche de ma vie et je ne vais pas commencer avec la vôtre, aussi blanche et
aussi bien faite soit-elle.
De très mauvaise grâce et
en proie à une douleur manifeste, elle sortit sa main droite. Celle-ci était
emmaillotée de bandages. Le mystère était maintenant résolu. Les deux sœurs
étaient des sorcières et, transformées en chats, elles détroussaient les
voyageurs qui logeaient sous leur toit.
- Je vous ai saigné, dit
Huw Llwyd, en s'adressant à la sœur blessée, et dorénavant vous ne serez plus
capable de causer le moindre tort. Je vais vous rendre tout aussi inoffensive,
dit-il à l'autre sœur.
Saisissant sa main, il
l'entailla profondément avec un couteau. Elle saigna beaucoup. Durant le
restant de leurs vies, les deux sœurs furent comme les autres femmes et plus
aucun vol n'eut lieu dans leur auberge.
Six
et Quatre, Dix
Un magicien qui se rendait
à Llanrwst, fit halte un soir dans une taverne de Henllan et commanda un verre
de bière, du pain et du fromage. Quand il demanda la note, on lui réclama
quatorze pence pour la bière et six pence pour le pain et le fromage. Il trouva
cette note outrageusement salée mais ne s'abaissa pas à discuter. Il avait
cependant l'intention de prendre une revanche ; avant de partir, il prit un bout
de papier, y écrivit un sort et le glissa sous le pied de la table. Le propriétaire
de l'auberge et son épouse allèrent se coucher tôt après avoir demandé à la
servante de nettoyer la table du magicien. A peine venaient-ils de poser leurs
têtes sur l'oreiller qu'ils entendirent crier et sauter en bas des escaliers.
La servante poussait des cris perçants :
- Six et quatre, dix,
Recompte encore une fois, et en dansant follement.
Etonnés et furieux, ils
demandèrent ce qui se passait mais n'obtinrent pour toute réponse que :
- Six et quatre, dix,
Recompte encore une fois, et que la fille danse.
Le patron pensa alors que
la servante avait perdu la
tête. Il se leva et descendit pour voir ce qui se passait. Au
moment où il posa le pied dans la pièce, il fit un saut, un sautillement, un
bond, et rejoignit la fille dans sa danse endiablée ; il se mit à crier avec
elle :
- Six et quatre, dix,
Recompte encore une fois.
Le bruit redoubla. Et si
auparavant la patronne n'était qu'étonnée et furieuse, elle était maintenant
stupéfaite et en rage. Elle hurla au couple de cesser ce tapage, mais tout à
fait inutilement. Ils beuglèrent plus fort qu'avant :
- Six et quatre, dix,
Recompte encore une fois, et dansèrent de plus belle.
La patronne de l'auberge
n'y résista pas plus longtemps : elle se leva de son lit et se précipita en bas
de l'escalier. A la vue de son mari et de la servante qui dansaient ensemble
sans vergogne en hurlant :
- Six et quatre, dix,
Recompte encore une fois.
Son sang ne fit qu'un
tour. Elle résolut de mettre un terme rapide à cette sarabande. Elle attrapa
une grosse canne et bondit dans la pièce. Mais avant même qu'elle ait pu étriller
têtes et épaules des danseurs comme c'était son intention, elle se retrouva en
train de cabrioler comme eux et de faire chorus :
- Six et quatre, dix,
Recompte encore une fois.
Le tumulte était devenu si
épouvantable que les voisins vinrent voir ce qui se passait. Tous ceux qui
posaient un pied dans la salle entraient dans la danse et dans le chœur, et la pièce
bientôt fut envahie d'hommes et de femmes, sautant, frétillant et hurlant à
tue-tête :
- Six et quatre, dix,
Recompte encore une fois.
C'est alors que l'un des
spectateurs, à l'esprit plus vif que les autres, se rappela qu'il avait vu le
magicien quitter la
taverne. Il supposa alors que celui-ci était responsable de
cette frénétique débauche. Il courut derrière lui et le rattrapa sur la route
de Llanrwst. Là il le supplia de délivrer les gens de ce sortilège. Le
magicien, gloussant en imaginant la scène de ce châtiment, accepta.
"Retire le morceau de papier qui se trouve sous le pied de la table et
brûle-le. Ils arrêteront leur sarabande." L'homme repartit en courant
aussi vite qu'il le pouvait, se rua sur la table et jeta le papier au feu.
Aussitôt la danse et les cris s'arrêtèrent, et les acteurs s'effondrèrent,
pantelants et épuisés par leurs efforts.
La
Vache bigarrée
Une vache multicolore fit
un jour son apparition dans les hautes landes du Denbighshire. Tout ceux qui
avaient besoin de lait venaient la traire et quelle que fut la capacité du
récipient, elle le remplissait de bon lait riche et crémeux. Quelle que fut la
fréquence à laquelle on la trayait, cela n'avait pas d'importance. Cela dura
longtemps et les gens étaient bien contents de profiter de cet
approvisionnement supplémentaire. Mais un jour une méchante sorcière décida de
la traire jusqu'à épuisement. La sorcière prit un crible et tira le lait de la
vache bigarrée jusqu'à ce qu'il n'y en eut plus. La vache alors se précipita en
meuglant horriblement dans un lac près de Cerrig y Drudion, et disparut dans
les eaux.
Wainscot
Il y avait, dans le
village, un jeune garçon, qui avait perdu son père et sa mère, et qui avait
depuis longtemps échafaudé un plan pour se débarrasser du Géant. Un jour, il se
décida et s’en alla trouver la reine des Fées. Parce qu’il était lui-même de la
race des Fées, il connaissait le langage des oiseaux, et, après avoir mûri son
plan avec la reine, il s’en alla, une nuit très sombre, pour consulter une
chouette qui vivait dans le tronc d’un chêne dans le grand bois de Pencoed.
Cette chouette, qu’on appelait Bedwellte, était très vieille et elle avait la
réputation de savoir tous les grands secrets du monde. Le jeune homme lui
expliqua la situation et lui demanda son assistance. La chouette promit de
l’aider à triompher du Géant.
Le Géant avait en effet
l’habitude de rencontrer, presque chaque nuit, sous un grand pommier qui se
trouvait près de sa demeure, une sorcière à qui il faisait sa cour. Et pendant
qu’il faisait sa cour, il ne se méfiait de rien, tant il était amoureux de la sorcière. Il
s’agissait donc d’obtenir la complicité de tous les oiseaux qui craignaient le
Géant pour que ceux-ci pussent aider la chouette à attacher un arc et une
flèche sur une branche du pommier. Alors, pendant que le Géant ferait sa cour,
la chouette tirerait une flèche contre lui.
Dès que le plan fut mis au
point entre le jeune homme, la chouette et les oiseaux, on guetta le Géant. Or,
une nuit, comme le Géant s’était rendu à son endroit habituel, sous le pommier,
et qu’il y attendait la sorcière, il s’endormit parce que celle-ci ne venait
pas. Profitant de ce sommeil, la chouette fit partir la flèche et celle-ci
pénétra dans la poitrine du Géant et le tua net. Alors, la chouette prit son
envol et retourna vers le bois de Pencoed, en poussant des hululements de joie.
La sorcière arriva peu de
temps après sur le lieu du rendez-vous. Elle y trouva le Géant mort et s’en
étonna grandement. Mais comme son esprit était uniquement préoccupé par le
Géant, elle n’entendit pas approcher les oiseaux qui, n’ayant désormais plus
rien à craindre du Géant, se précipitèrent sur elle et la transpercèrent de
leurs becs acérés. Ainsi fut tuée la sorcière maudite, mais avant de mourir,
elle avait eu le temps de lancer une malédiction : elle jura que, désormais,
toutes les pommes de l’arbre sous lequel avait été tué le Géant, ainsi que
toutes les pommes des mêmes arbres, en dehors de ce jardin, feraient grincer
des dents à tous ceux qui en mangeraient. Et c’est depuis ce temps-là que les
fruits des pommiers sauvages sont aigres.
Quand il vit que le Géant
et la sorcière étaient morts, le serpent qui gardait le jardin eut une si
grande peur qu’il se tordit sur lui-même et mourut. Le jeune homme l’enterra,
et sur le sol dont il le recouvrit, il planta des fleurs qui sont, depuis lors,
connues sous le nom de blodau’r neidr, c’est-à-dire fleurs de serpent.
Le Géant possédait
d’immenses richesses d’or et d’argent dans sa maison. La reine des Fées
accompagna le jeune homme à l’intérieur et ils les découvrirent. Alors, la
reine des Fées partagea le trésor et les distribua à toutes les Fées. Une
douzaine d’entre elles décidèrent de s’établir près de la demeure du Géant,
mais elles ne purent pas y rester longtemps à cause de la puanteur répandue par
le cadavre du monstre. Elles creusèrent une grande fosse pour l’y enterrer,
mais là encore, elles ne purent mener leur travail à terme à cause de la
mauvaise odeur.
L’une des Fées suggéra de
brûler le cadavre et d’en disperser les cendres au vent. C’est donc ce qu’elles
convinrent de faire. Mais une fois qu’elles eurent mis le feu au corps du
Géant, les flammes devinrent si violentes qu’elles débordèrent de la fosse et
se mirent à brûler tout dans les alentours. Les Fées durent en hâte aller
chercher de l’eau pour éteindre le brasier. Quand tout fut terminé, elles
s’aperçurent que les côtés de la fosse étaient faits d’une pierre noire et
brillante comme du cristal. Elles en prirent des parties et les emmenèrent dans
leurs demeures, et là, elles comprirent que cette pierre noire constituait un
excellent combustible pour faire du feu et se chauffer. Et l’on raconte que
c’est ainsi que furent découverts les filons de charbons qui se trouvent dans
la vallée de Rhymney.
Quant à la chouette,
après la mort du Géant et de la sorcière, elle prit l’habitude de venir, chaque
nuit où la lune était claire, du grand bois de Pencoed à Gilfach Fargoed, pour
faire la fête avec les Fées. De nos jours, leurs descendants sont toujours là,
et, pour commémorer l’événement, ils allument des feux sur la lande, au-dessus
de la vallée de Rhymney, et ils dansent toute la nuit en chantant joyeusement.