Bestiaire médiéval L
Lacovie
La Lacovie est un monstre
marin géant dont le dos est recouvert de sable semblable à celui du rivage de
la mer, lui donnant l'apparence d'une île ensablée.
La Lacovie est décrite dans
le folklore oriental. Sa taille est immense et elle ressemble en tout point à
une île. Les navigateurs fatigués la confondent si bien avec un banc de sable
qu'ils y amarrent leur bateau, y plantent des pieux et y font du feu pour
préparer leur repas. Sous l'effet de la chaleur, la Lacovie se réveille et
plonge au fond de la mer au terme de son sommeil millénaire, entraînant les
navires et leurs équipages avec elle.
La Lacovie est censée se
nourrir en attirant les poissons vers elle grâce à un parfum doux et subtil.
Elle les avale lorsque sa gueule est remplie. Elle peut être rapprochée de la
tortue fabuleuse Aspichodélon.
La légende de cet animal a pu
être inspirée par des phénomènes naturels comme le tsunami.
Léviathan
Monstre marin évoqué dans la Bible (3:8, 40:25), dont le
nom désigne un monstre colossal. Ce monstre, dont on ignore la forme, peut être
considéré comme l'évocation d'un cataclysme terrifiant capable de modifier la
planète, et d'en bousculer l'ordre et la géographie sinon d'anéantir le monde.
Le Léviathan est également, selon certaines versions, le nom donné à un des démons
principaux de l'enfer.
Le Léviathan est représenté au
Moyen Âge sous la forme d'une gueule ouverte qui avale les âmes, représentant
ainsi l'entrée de l’Enfer. Le Léviathan est souvent représenté sous la forme
d'un gigantesque serpent de mer, dont les ondulations sont à l'origine des
vagues.
Il serait l'un des 4 monstres
"présents" au banquet de l'Apocalypse.
http://world.of.davis.over-blog.com/article-les-demons-des-7-peches-capitaux-43791607.html
Licorne
La Licorne, parfois nommée
Unicorne, est une créature légendaire à corne unique. Connue en Occident depuis
l'Antiquité grecque par des récits de voyageurs en Perse et en Inde, sous le
nom de Monocéros, elle est peut-être en partie issue du chamanisme oriental à
l'origine du Qilin (ou Licorne chinoise) et du récit sanskrit d'Ekasringa. La Licorne occidentale se
différencie toutefois nettement de sa consœur asiatique par son apparence, son
symbolisme et son histoire. Sous l'influence du premier des bestiaires, le
Physiologos, les bestiaires médiévaux occidentaux et leurs miniatures la
décrivent comme un animal sylvestre très féroce, symbole de pureté et de grâce,
attiré par l'odeur de la virginité. Les chasseurs utiliseraient une jeune fille
vierge pour la capturer. Sa forme se fixe entre le cheval et la chèvre blanche.
La Licorne se
voit dotée d'un corps équin, d'une barbiche de bouc, de sabots fendus et
surtout d'une longue corne au milieu du front, droite, spiralée et pointue, qui
constitue sa principale caractéristique.
Elle devient l'animal imaginaire
le plus important du Moyen Âge à la Renaissance. La croyance en son existence est
omniprésente grâce au commerce de sa corne et à sa présence dans certaines
traductions de la Bible.
Des objets présentés comme d'authentiques « cornes de Licorne
» s'échangent à prix d'or, crédités du pouvoir de purifier les liquides des
poisons et de guérir la plupart des maladies. Peu à peu, on découvre qu'il s'agit
en réalité de dents de narval, un mammifère marin arctique. Il est admis que
les multiples descriptions de Licornes dans les récits de voyages correspondent
aux déformations d'animaux réels, comme le rhinocéros et l'antilope. La
croyance en l'existence de la
Licorne reste toutefois discutée jusqu'au milieu du XIXe
siècle et de tous temps, cette bête légendaire intéresse des théologiens,
médecins, naturalistes, poètes, gens de lettres, ésotéristes, alchimistes,
psychologues, historiens et symbolistes. Son aspect symbolique, très riche,
l'associe à la dualité de l'être humain, la recherche spirituelle, l'expérience
du divin, la femme vierge, l'amour et la protection. Carl Gustav Jung lui
consacre une quarantaine de pages dans Psychologie et alchimie.
La Licorne figure depuis la
fin du XIXe siècle parmi les créatures typiques des récits de fantasy et de
féerie. Son imagerie moderne s'éloigne de l'héritage médiéval, pour devenir
celle d'un grand cheval blanc « magique » avec une corne unique au milieu du
front.
L'ancêtre de la Licorne est nommé
Monokeros en grec ancien, ce qui signifie « avec une seule corne ». Ce nom grec
est peut-être issu de l'Arabe « karkadann », qui désigne aussi le rhinocéros.
Monokeros devient Unicornis en latin, signifiant également « à une seule corne
», d'où l'autre nom de la
Licorne en français : Unicorne.
De nombreuses créatures issues de
légendes et de récits d'explorateurs sont nommées ou surnommées « Licorne »,
leur seul point commun étant la présence supposée d'une corne unique. C'est le
cas du qilin chinois, plus connu au Japon sous le nom de kirin, de l’indrik
russe, du re'em de la Bible,
du tragelaphos d'Aristote, du Karkadann et du Shadhahvar perses, du Kartazonos
(καρτάζωνος) de Claude Élien (dérivé du sanskrit « Kartajan », signifiant « roi
du désert »), du camphruch et du pirassoupi d'André Thevet. Après sa
découverte, le mammifère marin à l'origine du commerce des « cornes de Licorne
» en occident, le narval, acquiert le surnom de « Licorne de mer », le narval
étant perçu comme la version aquatique de l'animal terrestre légendaire, ce
surnom perdure. L’Elasmotherium, grand rhinocerotidae éteint vu comme une
origine possible des Licornes asiatiques, est pour sa part surnommé la «
Licorne géante ».
Origine occidentale
Il est très difficile de remonter
l'histoire de la Licorne
occidentale au-delà des récits de Ctésias, au IVe siècle av. J.-C. Au crédit
d'une origine préhistorique, l'une des peintures naturalistes de Lascaux est
qualifiée de « Licorne » en raison de deux traits rectilignes évoquant une
corne sur son front. Il s'agit vraisemblablement de la reproduction déformée
d'un lynx.
Les observations mal comprises
d'animaux réels expliquent en grande partie les multiples descriptions de la Licorne occidentale, mais
l'histoire de cette créature se révèle bien plus longue et complexe, notamment
en raison de sa symbolique. Création du haut Moyen Âge, la Licorne est une chimère.
Elle ne provient pas d'une mythologie puisqu'elle ne présente aucun lien avec
la création du monde, les gestes héroïques ou la fondation d'une ville. Elle
naît d'un mélange entre traditions orales et écrites, récits de voyage et
descriptions des naturalistes. Son origine est à rechercher dans les premiers
bestiaires inspirés du Physiologos et les textes gréco-romains, eux-mêmes issus
d'observation d'animaux exotiques : d'après Odell Shepard, la Licorne occidentale est
issue du mélange entre le récit de sa capture par une vierge dans le
Physiologos, et la description de Ctésias qui en a fait un animal féroce ne
pouvant être chassé par des techniques conventionnelles.
Description
D'après Bruno Faidutti, la Licorne occidentale « eut
une âme avant d'avoir un corps », une forme de « cavale blanche très parfaite »
alliant la fine monture des damoiselles à la corne du narval, qui trône parmi
les trésors royaux. Les auteurs grecs ne représentent pas la créature qu'ils
nomment Monoceros, source d'inspiration des bestiaires médiévaux. Les premières
Licornes médiévales ressemblent donc rarement à un cheval blanc, pouvant être
proche de chèvres, moutons, biches, voire chiens, ours, et même serpents. Leurs
couleurs varient : bleues, brunes et ocre. Leur taille est plus proche de celle
du chevreau que du cheval.
Des manuscrits basés sur la Topographie chrétienne
de Cosmas Indicopleustès rapprochent la Licorne d'une chèvre noire ou blanche, avec une
barbichette et une longue corne droite. La généralisation de sa forme à la fois
caprine et chevaline et de sa couleur blanche dans les représentations
artistiques est le résultat du symbolisme et des allégories qui lui sont
attribués au Moyen Âge. La
Licorne occidentale acquiert généralement une très longue
corne droite et torsadée, très caractéristique, issue de la défense du narval.
C'est à la Renaissance
qu'elle devient une créature plus fine, plus proche de la taille du cheval que
de la chèvre, ne gardant que les sabots fendus et la barbichette en souvenir de
son passé de « chevreau ». La robe blanche de cette Licorne qui acquiert du
cheval sa taille et sa noblesse s'impose pour un animal symbole de pureté et de
modestie.
Multiplicité des descriptions
Les différences dans les
descriptions de Licornes par les explorateurs conduisent soit à réfuter son
existence, soit à supposer de multiples espèces. L’Historia Naturalis de
Quadrupedibus de Jan Jonston en présente ainsi huit, avec des noms latins, mais
le problème se pose dès l'Antiquité, où l'on relève jusqu'à sept animaux «
unicornes » : le rhinocéros, l'âne sauvage, le « bœuf indien », l'oryx, le
bison, le « cheval indien » et le Monoceros proprement dit.
« Certaines ont un corps de cheval, une tête de cerf, une queue de
sanglier, et ont une corne noire (...) On les appelle souvent monocéros ou
monoceron. Une autre variété de Licornes est appelée églisseron, c’est-à-direchèvre
cornue. Elle est grande et haute comme un cheval, mais semblable à un chevreuil
; sa corne est blanche et très pointue (...) Une autre espèce de Licorne est
semblable à un bœuf, tachée de taches blanches ; sa corne est noire et brune,
et elle charge son adversaire comme le fait un taureau » — Barthélemy
l'Anglais, Livre des propriétés des choses (Début XIIIe siècle).
La corne unique n'est plus
forcément le lien entre tous ces animaux unicornes, puisqu'à la fin du XVIe
siècle, le cosmographe André Thevet décrit le Pirassoupi, « sorte de Licorne à
deux cornes » :
« En la province qui est le long de la rivière de Plate se trouve une
bête que les sauvages appellent Pirassouppi, grande comme un mulet, et sa tête
quasi semblable, velue en forme d’un ours, un peu plus colorée, tirant sur le
fauve et ayant les pieds fendus comme un cerf. Ce Pirassouppi a deux cornes
fort longues, sans ramures, fort élevées et qui approchent de ces Licornes tant
estimées. » — André Thevet, La
Cosmographie universelle
Représentations féeriques
L'apparence de la Licorne dans les œuvres du
XIXe siècle et d'après, inspirées par la féerie, accentue encore sa proximité
avec le cheval blanc puisqu'elle perd parfois sa barbichette et ses sabots
fendus. Solitaire, pure et bénéfique, la Licorne porte désormais une corne unique de
couleur blanche, dorée ou argentée au front. La taille de cette corne ne
dépasse plus les 45 cm. Elle est décrite comme « un cheval magique avec une
corne », scintillante sous la lumière de la lune, cette corne dorée ou argentée
renvoyant au monde féerique et à la magie.
Bruno Faidutti cite la
description de Bertrand d'Astorg à titre d'exemple :
« C'était une Licorne blanche, de la même taille que mon cheval mais
d'une foulée plus longue et plus légère. Sa crinière soyeuse volait sur son
front ; le mouvement faisait courir sur son pelage des frissons brillants et
flotter sa queue épaisse. Tout son corps exhalait une lumière cendrée ; des
étincelles jaillissaient parfois de ses sabots. Elle galopait comme pour porter
haut la corne terrible où des nervures nacrées s'enroulaient en torsades
régulières. »
Histoire
Durant l'Antiquité, des animaux
unicornes sont connus par les sources gréco-romaines. Ils n'appartiennent pas à
une légende populaire vivante, et ne figurent que dans des récits de voyages et
descriptions d'animaux recopiées les unes sur les autres. Ils ne marquent ni
les arts plastiques, ni les récits créatifs, ni les légendes, ni la mythologie
de l'Antiquité. Par son omniprésence dans l'Art et les récits des lettrés, la Licorne européenne devient
ensuite l'animal imaginaire le plus important du Moyen Âge à la Renaissance.
Sources grecques
Les sources grecques se
rattachent à l'histoire naturelle, la plupart de ces textes attestant d'une
réelle croyance en l'existence d'un animal unicorne en Inde.
Le plus ancien texte de la
littérature occidentale évoquant la
Licorne date de -416 à -398, il est dû au médecin grec
Ctésias, qui réside dix-sept ans à la cour de Perse, avec Darius II et
Artaxerxès II. À son retour en Grèce, il rédige une Histoire de l'Inde nommée
Indica (l'Inde étant un pays où il n'a jamais séjourné), dont il reste des
fragments rapportés au IXe siècle par Photios. Ils décrivent, parmi les peuples
et animaux fabuleux de l'Inde :
« [...] des ânes sauvages de la grandeur des chevaux, et même de plus
grands encore. Ils ont le corps blanc, la tête couleur de pourpre, les yeux
bleuâtres, une corne au front longue d'une coudée. La partie inférieure de
cette corne, en partant du front et en remontant jusqu'à deux palmes, est
entièrement blanche ; celle du milieu est noire ; la supérieure est pourpre,
d'un beau rouge, et se termine en pointe. On en fait des vases à boire. Ceux
qui s'en servent ne sont sujets ni aux convulsions, ni à l'épilepsie, ni à être
empoisonnés, pourvu qu'avant de prendre du poison, ou qu'après en avoir pris,
ils boivent dans ces vases de l'eau, du vin, ou d'une autre liqueur quelconque.
Les ânes domestiques ou sauvages des autres pays n'ont, de même que tous les
solipèdes, ni l'osselet, ni la vésicule du fiel. L'âne d'Inde est le seul qui
les ait. Leur osselet est le plus beau que j'aie vu ; il ressemble pour la
figure et la grandeur à celui du bœuf. Il est pesant comme du plomb et rouge
jusqu'au fond comme du cinabre. Cet animal est très fort et très vite à la
course. Le cheval, ni aucun autre animal, ne peut l'atteindre » — Ctésias,
Indica
Au IVe siècle av. J.-C., le
philosophe Aristote classe les animaux par le nombre de leurs cornes et de
leurs sabots, peut-être en s'appuyant sur Ctésias. Il en distingue deux qui
auraient une corne, l'âne indien et l'oryx :
« On peut encore remarquer que certains animaux ont des cornes, et que
les autres n'en ont pas. La plupart de ceux qui sont pourvus de cornes ont le
sabot fendu, comme le bœuf, le cerf et la chèvre ; on n'a jamais observé
d'animal au sabot non-fendu à deux cornes. Mais il y a un petit nombre
d'animaux qui ont une seule corne et le sabot non-fendu, comme l'âne des Indes.
L'oryx n'a qu'une corne, et il a le sabot fendu. » — Aristote, Histoire des
animaux
Mégasthène est, vers 300 av.
J.-C., envoyé comme ambassadeur à la cour de Chandragupta Maurya, roi des
Indes, à Pataliputra sur les bords du Gange. Il y reste une dizaine d'années et
rédige son livre Indica, le plus important livre sur l'Inde antique écrit après
les conquêtes d'Alexandre. Il décrit un animal solitaire des montagnes appelé «
Kartazoon » ou « kartajan » d'après la langue du pays. Pour la première fois,
cet animal unicorne est doux avec les autres animaux. Querelleur envers les
siens, son agressivité ne s'adoucit qu'à la saison des amours et sa corne est
utilisée comme remède contre les poisons. Strabon le cite en disant qu' « il existe dans les régions sauvages de
l'Inde des chevaux à tête de cerf surmontée d'une seule corne ».
Sources romaines
La croyance se perpétue à
l'époque romaine, Jules César attestant lui-même la présence d'une sorte de
cerf unicorne dans la forêt hercynienne.
La description de Pline l'Ancien,
au 1er siècle, sert de base à de nombreux ouvrages plus tardifs :
« La bête la plus sauvage de l’Inde est le monoceros ; il a le corps du
cheval, la tête du cerf, les pieds de l’éléphant, la queue du sanglier ; un
mugissement grave, une seule corne noire haute de deux coudées qui se dresse au
milieu du front. On dit qu’on ne le prend pas vivant. » — Pline l'Ancien,
Histoire naturelle, livre VIII, chapitre XXXI.
Au 2e siècle, Philostrate
l'Athénien reprend le récit de Ctésias dans sa Vie d'Apollonius de Tyane, sans
prêter foi aux vertus médicinales de la corne :
« Dans les marais qui bordent le fleuve on prend des onagres. Ces
animaux ont sur le front une corne, dont ils se servent pour combattre à la
manière des taureaux, et cela avec beaucoup de courage. Les Indiens font de ces
cornes des coupes, et leur attribuent des propriétés merveilleuses : il suffit
d'avoir bu dans une de ces cornes pour être pendant tout le jour à l'abri de
toute maladie, pour ne pas souffrir d'une blessure, pour traverser impunément
le feu, pour n'avoir rien à craindre des poisons les plus violents : ces coupes
sont réservées aux rois, et les rois seuls font la chasse à l'onagre.
Apollonius dit avoir vu un de ces animaux, et s'être écrié : « Voilà un
singulier animal ! » Et comme Damis lui demandait s'il croyait à ce que l'on
contait des cornes de l'onagre, il répondit : « Je le croirai quand on me
montrera quelqu'un de ces rois de l'Inde qui ne soit pas mortel. Lorsqu'un
homme peut me présenter, ou présenter au premier venu une coupe qui, loin
d'engendrer les maladies, les éloigne, comment supposer qu'il ne commence pas
par s'en verser à longs traits jusqu'à s'enivrer ? Et en vérité personne ne
pourrait trouver mauvais qu'on s'enivrât à boire à une telle coupe. » —
Philostrate l'Athénien, Vie d'Apollonius de Tyane
Au début du 3e siècle, Claude
Élien reprend peut-être les récits de Ctésias, ou ceux de Mégasthène :
« J’ai appris qu’il naissait en Inde des onagres dont la taille n’est
pas inférieure à celle des chevaux. Tout leur corps est blanc, sauf leur tête,
qui se rapproche du pourpre, et leurs yeux, qui diffusent une couleur bleu
foncé. Ils ont sur le front une corne qui atteint bien une coudée et demie de
long : la base de la corne est blanche, la pointe rouge vif, et la partie
médiane d’un noir profond. (…) d’après Ctésias, les ânes indiens qui possèdent
une corne (…) sont plus rapides que les ânes, et même plus rapides que les
chevaux et les cerfs (…). Voici jusqu’où va la force de ces animaux : rien ne
peut résister à leurs coups et tout cède et, le cas échéant, est complètement
broyé et mutilé. Il leur arrive même fréquemment de déchirer les flancs de
chevaux, en se ruant sur eux, et de leur faire sortir les entrailles (…). Il
est pratiquement impossible de capturer un adulte vivant, et on les abat avec
des lances et des flèches (…). » — Élien, La personnalité des animaux
Apparition dans la Bible
L'introduction de la Licorne dans certaines
traductions bibliques est l'une des causes de son inclusion à la mythologie
chrétienne, entraînant son symbolisme médiéval. Dans les livres de la Bible hébraïque, le mot
hébreu re'em, aujourd'hui traduit par « bœuf sauvage » ou « buffle », apparaît
à neuf reprises avec ses cornes, comme une allégorie de la puissance divine.
Par ailleurs, le livre de Daniel utilise l'image d'un bouc avec une grande
corne entre les yeux dans un contexte différent : comme métaphore du royaume
d'Alexandre le Grand.
Au 3e siècle av. J.-C. et 2e
siècle av. J.-C., quand les juifs hellénisés d'Alexandrie traduisent les
différents livres hébreux pour en faire une version grecque appelée Septante,
ils utilisent pour traduire re'em le mot monoceros, qu'ils doivent connaître
par Ctésias et Aristote.
À partir du 2e siècle, le
judaïsme rabbinique rejette la tradition hellénistique et revient à l'hébreu
(le texte massorétique). Par contre, la Septante devient l'Ancien Testament du
Christianisme et dans sa version latine, la Vulgate, le grec monoceros est traduit soit par
unicornis, soit par rhinocerotis. Selon Roger Caillois, les kabbalistes
auraient noté les lettres de la
Licorne (en tant que Re'em) : resch, aleph et mem, celles de
la corne étant (Queren) qoph, resch et nun. Ce passage est fréquemment cité
pour justifier du caractère indomptable de la Licorne :
« Le (re'em) voudra-t-il te servir, passer la nuit chez toi devant la
crèche ?
Attacheras-tu une corde à son cou, hersera-t-il les sillons derrière
toi ? » — Job (39, 9-10)
Selon Odell Shepard, les érudits
d'Alexandrie placent réellement la
Licorne au cœur du symbolisme chrétien. Au 3e siècle, de
nombreux récits d'animaux assortis d'une morale circulent. Le premier bestiaire
chrétien, le Physiologos, y trouve son origine. Son influence sur la diffusion
de la légende de la Licorne
est considérable.
Le Physiologos, recueil de brefs
récits vraisemblablement rédigé en Égypte au 2e siècle, raconte pour la
première fois la capture d'un Monoceros par des chasseurs utilisant une jeune
vierge comme appât, entre autres descriptions d'animaux et de créatures
imaginaires. Le texte est présenté comme une technique de chasse, non comme un
mythe. Sa description pourrait toutefois être plus ancienne : les différents
auteurs du Physiologos ont pu créer de toutes pièces le récit de la capture de la Licorne par une femme
vierge en tant que symbole de l'incarnation du Christ, ce récit peut aussi
trouver sa source dans la symbolique d'attraction sexuelle entre la corne
phallique de la Licorne
et la vierge pure, moralisée et adaptée à une vision chrétienne. Enfin, d'après
Odell Shepard, ce récit pourrait être une pure création d'allégoristes
chrétiens. Traduite en latin dès le IVe siècle, cette version grecque inspire
d'innombrables auteurs de bestiaires occidentaux au Moyen Âge :
« Le psalmiste dit : « Ma corne sera portée dans les hauteurs comme
celle de l'unicorne ». Le Physiologue a dit que l'unicorne a la nature suivante
: c'est un petit animal qui ressemble au chevreau, et qui est tout à fait
paisible et doux. Il porte une corne unique au milieu du front. Les chasseurs
ne peuvent l'approcher à cause de sa force. Comment donc est-il capturé ? Ils
envoient vers lui une vierge immaculée et l'animal vient se lover dans le giron
de la vierge. Elle allaite l'animal et l'emporte dans le palais du roi.
L'unicorne s'applique donc au Sauveur. « Car dans la maison de David notre père
a fait se dresser une corne de salut ». Les puissances angéliques n'ont pas pu
le maîtriser et il s'est installé dans le ventre de Marie, celle qui est
véritablement toujours vierge, et le verbe s'est fait chair, et il s'est
installé parmi nous » — Physiologos
La version latine la plus
répandue cite la chasse de la même manière, en terminant ce court récit par une
morale chrétienne : « Il en va de même
aussi de notre Seigneur Jésus Christ, unicorne spirituel, qui, en descendant
dans le ventre de la Vierge,
prit chair en elle, fut pris par les Juifs et condamné à mourir sur la croix. À
ce sujet David dit : Et il est aimé comme le fils des unicornes [Ps. 28, 6] ;
et à nouveau dans un autre psaume, il dit de lui-même : ‘Et ma corne sera
relevée comme celle de l’unicorne.’ » [Ps. 91.11]
Cosmas Indicopleustès, marchand
d'Alexandrie qui vit au VIe siècle et voyage dans les Indes, écrit une
cosmographie dans laquelle il cite la Licorne. Il en fournit une représentation à
partir de quatre figures en cuivre, qu'il aurait vues dans le palais du roi
d’Éthiopie :
« La Licorne
est redoutable et invincible, ayant toute sa force dans la corne. Chaque fois
qu'elle se croit poursuivie par plusieurs chasseurs et sur le point d'être
prise, elle bondit sur un roc escarpé et se lance d'en haut ; pendant sa chute
elle se retourne ; sa corne amortit le choc et elle reste indemne » — Cosmas
Indicopleustès, Topographie chrétienne
Le Monoceros est étudié
sporadiquement au XIe siècle, sans laisser de traces notables. Dès la fin du
XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, la Licorne devient l'un des thèmes favoris des
bestiaires et de la tapisserie dans l'occident chrétien. Elle n’apparaît
toutefois que dans les ouvrages pour lettrés, soit une infime partie de la
population médiévale. Il n’en est pas fait mention dans les contes et chansons
du folklore populaire. Un folklore tardif, basé sur l'homophonie, veut qu'un
seigneur du Maine soit un jour revenu d'une lointaine expédition avec une
Licorne, et l'aie perdue. Il se mit à hurler « Ma Licorne ! Ma Licorne ! »,
d'où le nom du village : Ma Licorne-sur-Sarthe. Sans citer ses propres sources,
Édouard Brasey ajoute que cette Licorne est devenue la favorite d'une certaine
Hildegarde, et que des chasseurs la tuèrent ensuite.
Bestiaires et miniatures
Les premières Licornes
européennes apparaissent dans des bestiaires inspirés du Physiologos, malgré
les efforts de certains Papes pour interdire sa diffusion car il est considéré
comme hérétique. Le récit est traduit dans un très grand nombre de langues, y
le vieux français et le provençal. L'influence des textes gréco-romains, comme
celui de Pline l'Ancien, est moindre. La Licorne acquiert un symbolisme chrétien
justifiant sa présence dans toutes sortes d'œuvres religieuses, bien qu'elle
soit issue de descriptions païennes. Elle rejoint le lion et l’éléphant dans
les bestiaires : personne ou presque n’ayant eu l’occasion de voir ces animaux
exotiques en Europe, l’existence réelle du Monoceros, quelque part dans un
lointain pays, n'est pas remise en cause. Des centaines, voire des milliers de
miniatures présentent la même mise en scène inspirée du Physiologos : la bête
est séduite par une vierge traitresse, et un chasseur lui transperce le flanc
avec une lance. Liée à la virginité des jeunes filles, la scène de « capture de
la Licorne »
semble issue de la culture de l’amour courtois, du respect de la femme, des
loisirs délicats, de la musique et de la poésie.
Selon les versions, la jeune
femme désireuse d'attirer une Licorne doit parfois être nonne, de naissance
noble, pure de cœur, d'une grande beauté, vierge de tout contact avec un homme,
ou encore tenir un miroir. La
Licorne est créditée du pouvoir de reconnaître les vierges
par l'odorat, ou grâce à ses propres dons magiques. Si la femme n'est pas
vierge ou si des pensées impures lui occupent l'esprit, la Licorne la tue et
s'enfuit. Le théologien Alain de Lille explique en son temps cette attirance
des Licornes pour les vierges via la théorie des humeurs : la Licorne, « chaude » de
nature, est irrésistiblement attirée par une jeune fille frigide.
Pierre de Beauvais cite
littéralement le Physiologos. Cet ouvrage compare Jésus-Christ à « une Licorne
céleste qui descendit dans le sein de la Vierge », et fut pris puis crucifié à cause de
son incarnation. La corne ornant le front de la Licorne est symbole de
Dieu, la cruauté de la Licorne
signifie que personne ne peut comprendre la puissance de Dieu, sa petite taille
symbolise l'humilité de Jésus Christ dans son incarnation.
Le Liber Subtilitatum de Divinis
Creaturis (Livre de subtilité des créatures divines) de l'abbesse Hildegarde de
Bingen, rédigé au XIIe siècle, est à la fois le plus riche des bestiaires
médiévaux et le plus éloigné de la tradition grecque, puisqu'il s'attache aux
propriétés des animaux. Elle recommande un onguent à base de foie de Licorne et
de jaune d’œuf contre la lèpre. Le port d’une ceinture en cuir de Licorne est
censé protéger de la peste et de la fièvre, tandis que des chaussures en cuir
de cet animal éloigneraient les maladies des pieds.
Le plus détaillé des récits de «
capture de la Licorne
» figure dans le Bestiaire divin de Guillaume Le Clerc de Normandie, au XIIIe
siècle :
« [...] Elle est si téméraire, agressive et hardie qu'elle s'attaque à
l'éléphant avec son sabot dur et tranchant. Son sabot est si aigu que, quoi
qu'elle frappe, il n'est rien qu'elle ne puisse percer ou fendre. L'éléphant
n'a aucun moyen de se défendre quand la Licorne attaque, elle le frappe comme une lame
sous le ventre et l'éventre entièrement. C'est le plus redoutable de tous les
animaux qui existent au monde, sa vigueur est telle qu'elle ne craint aucun
chasseur. Ceux qui veulent tenter de la prendre par ruse et de la lier doivent
l'épier pendant qu'elle joue sur la montagne ou dans la vallée, une fois qu'ils
ont découvert son gite et relevé avec soin ses traces, ils vont chercher une
demoiselle qu'ils savent vierge, puis la font s'assoir au gite de la bête et
attendent là pour la capturer. Lorsque la Licorne arrive et qu'elle voit la jeune fille,
elle vient aussitôt à elle et se couche sur ses genoux ; alors les chasseurs,
qui sont en train de l'épier, s'élancent ; ils s'emparent d'elle et la lient,
puis ils la conduisent devant le roi, de force et aussi vite qu'ils le peuvent
» — Guillaume Le Clerc de Normandie, Bestiaire divin
Brunetto Latini (1230-1294) donne
dans son Livre du Trésor la description d'une Licorne redoutable dont le corps
ressemble à celui d'un cheval, avec le pied de l'éléphant, une queue de cerf et
une voix épouvantable. Sa corne unique est extraordinairement étincelante et a
quatre pieds de long, elle est si résistante et acérée qu'elle transperce sans
peine tout ce qu'elle frappe. La
Licorne est cruelle et redoutable, personne ne peut
l'atteindre ou la capturer avec un piège. La description de la chasse est la
même que dans les autres bestiaires.
Philippe de Thaon, vers 1300,
précise que la vierge doit découvrir son sein, puis que « la Licorne sent son odeur et
vient à la pucelle, baise son sein et s’y endort, ce qui entraine sa mort ».
Giovanni da San Geminiano parle dans son Summa de Exemplis et Rerum
Similitudinibus Locupletissimad'une odeur de virginité qui rend la Licorne douce comme un
agneau lorsqu'elle se réfugie dans le giron d'une jeune vierge.
Au XIIIe siècle, Marco Polo dit avoir
aperçu une Licorne dans son Devisement du monde, mais sa description rappelle
le rhinocéros. C'est également au Moyen Âge qu’apparaissent les représentations
du cheval d'Alexandre le Grand, Bucéphale, portant une corne au front, symbole
de puissance et de divinité. Bucéphale est censé se nourrir de chair humaine,
mais seul Alexandre peut le monter, ce qui rejoint la légende de la Licorne attendrie par une
vierge. Marco Polo y fait allusion : « On
pouvait trouver en cette province (l'Inde) des chevaux descendus de la semence
du cheval à corne unique du roi Alexandre, nommé Bucéphale ; lesquels
naissaient tous avec une étoile et une corne sur le front comme Bucéphale,
parce que les juments avaient été couvertes par cet animal en personne. Mais
toute la race de ceux-ci fut détruite. Les derniers se trouvaient au pouvoir
d’un oncle du roi, et quand il refusa de permettre au roi d’en prendre un,
celui-ci le fit mettre à mort ; mais de rage de la mort de son époux, la veuve
anéantit ladite race, et la voilà perdue... »
Contes notables
Le dit de l’unicorne et du serpent
Ce conte médiéval rapporté par
Jacques de Voragine entre 1261 et 1266 met en scène un homme nommé Barlaam, qui
vit dans le désert près de Senaah où il prêche souvent contre les plaisirs
illusoires du monde. Instruisant Josaphat, le fils du roi, il lui raconte la
parabole suivante :
« Ceux [...] qui convoitent les délectations corporelles et qui
laissent mourir leur âme de faim, ressemblent à un homme qui s'enfuirait au
plus vite devant une Licorne qui va le dévorer, et qui tombe dans un abîme
profond. Or, en tombant, il a saisi avec les mains un arbrisseau et il a posé
les pieds sur un endroit glissant et friable ; il voit deux rats, l’un blanc et
l’autre noir, occupés à ronger sans cesse la racine de l’arbuste qu'il a saisi,
et bientôt ils l’auront coupée. Au fond du gouffre, il aperçoit un dragon
terrible vomissant des flammes et ouvrant la gueule pour le dévorer ; sur la
place où il a mis les pieds, il distingue quatre aspics qui montrent la tête.
Mais, en levant les yeux, il voit un peu de miel qui coule des branches de cet
arbuste ; alors il oublie le danger auquel il se trouve exposé, et se livre
tout entier au plaisir de goûter ce peu de miel. La Licorne est la figure de
la mort, qui poursuit l’homme sans cesse et qui aspire à le prendre. ».
La Dame à la Licorne et le Chevalier au lion
Vers 1350, un conte courtois
méconnu de Blanche de Navarre raconte qu'une princesse belle et chaste reçoit
une Licorne du Dieu d’amour et se fait appeler « la blanche dame que la Licorne garde ». Elle
épouse un seigneur qui part un jour à l’aventure et capture puis apprivoise un
lion. La Dame se
fait dire que son chevalier est mort, un mauvais seigneur en profite pour
l’enlever. Le chevalier au lion, de retour, part à l’assaut du château du
ravisseur, libère sa dame et tous deux quittent le château maudit, la dame
montée sur sa Licorne et le chevalier sur son lion.
Temps Modernes
Avec l'arrivée de la Renaissance, la Licorne rejoint des
traités de médecine à propos de l’usage de sa « corne » et des études bibliques
discutant de sa présence dans les textes sacrés, en plus des ouvrages décrivant
les animaux, des récits de voyages où les explorateurs affirment l'avoir
rencontrée. Quelques traités d’alchimie, d'astrologie ou d’héraldique ou des
commentaires sur les textes gréco-romains la mentionnent également.
Corne de Licorne
La fameuse « corne de Licorne »
se voit associer, depuis la fin du Moyen Âge, des pouvoirs magiques et des
vertus de contrepoison qui en font l'un des remèdes les plus chers et les plus
réputés à la
Renaissance. Sa principale utilisation médicinale est liée à
son pouvoir de purification, mentionné pour la première fois au XIIIe siècle.
Les légendes sur ses propriétés circulant dès le Moyen Âge sont à l’origine du
commerce florissant de ces objets, qui deviennent de plus en plus communs
jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, où leur origine réelle est connue. La « corne
de Licorne », de forme torsadée, s’échange et circule, elle est censée être le bien
le plus précieux que puisse posséder un roi. Son usage est connu à la cour du
roi de France pour déceler la présence de poison dans les plats et les boissons
: si la corne se met à fumer, c'est que le met est empoisonné. Elle est aussi
consommée de plusieurs façons. Le cours de la « corne de Licorne » atteint son
apogée au milieu du XVIe siècle, où elle est considérée comme le meilleur
contrepoison existant avec la pierre de bézoard. Son prix ne cesse de baisser
au cours des années suivantes pour s'effondrer au XVIIe siècle, quand la
découverte du narval est connue.
Interprétations bibliques
Les traducteurs de la Bible du roi Jacques et ceux
de la Bible de
Martin Luther rendent le mot « re'em », respectivement, par « unicorn » et «
einhorn », qui signifient « Licorne ». Cette présence de Licornes dans la Bible forme une preuve par
autorité de l'existence de l'animal, en particulier pendant la Renaissance, puisque la Bible est censée, pour bon
nombre de Chrétiens de l'époque, être dictée par Dieu. De nombreuses
interprétations et des contes, en particulier Juifs, apparaissent en rapport
avec l'épisode du Déluge. Selon un conte russe, la Licorne refuse de monter
dans l'Arche de Noé et préfère nager, sûre de survivre. En quarante jours et
autant de nuits, elle reçoit des oiseaux fatigués sur sa corne. Alors que les
eaux commencent à baisser, l'aigle se pose à son tour sur sa corne et la Licorne, épuisée, coule et
se noie. Selon la tradition talmudique, la grande corne de la Licorne, signe d'orgueil,
l'empêche de trouver une place dans l'Arche. D'après des interprétations de la
tradition hébraïque, la
Licorne ne prend pas place dans l'arche de Noé mais ses
qualités lui permettent de survivre au déluge, certaines versions ajoutent
qu'elle y parvient en devenant le narval. Dans la gravure ci-contre, extraite
d'un exemplaire des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe publié en 1631, la Licorne est le seul animal
à ne pas être en couple parmi ceux que Noé s'apprête à sauver des eaux.
Récits de voyages et d'exploration
Les récits de voyages et
d'explorations forment l'une des bases de la légende de la Licorne : dès l’antiquité,
Ctésias affirme à son retour des Indes que l’âne de ce pays porte une corne
unique au milieu de la tête. Ses dires sont repris par Aristote. De la fin du
Moyen Âge à la Renaissance,
à l'époque des grandes explorations, de nombreux voyageurs assurent avoir vu
des Licornes et en font des descriptions très précises, souvent
contradictoires, qui amenèrent certains interprètes à croire que les Licornes
formaient une famille comprenant des races différentes. D'autres interprètes
doutent de la réalité de son existence.
Lors d'un séjour à La Mecque en 1503,
l'explorateur italien Ludovico de Verthema rapporta avoir vu deux Licornes dans
un enclos, elles auraient été envoyées au Sultan de La Mecque par un roi
d’Éthiopie en gage d’alliance, comme la plus belle chose qui soit au monde, un
riche trésor et une grande merveille. «
Le plus grand est fait comme un poulain d’un an, et a une corne d’environ quatre
paumes de long. Il a la couleur d’un bai brun, la tête d’un cerf, le col court,
le poil court et pendant sur un côté, la jambe légère comme un chevreuil. Son
pied est fendu comme celui d’une chèvre et il a des poils sur les jambes de
derrière. C’est une bête fière et discrète. »
Le jésuite portugais Jérôme Lobo
cherchait les sources du Nil quand il rapporte sa rencontre avec des Licornes
dans un récit de 1672 : « C’est là que
l’on a vu la véritable Licorne... Pour la Licorne, on ne peut la confondre avec le
rhinocéros qui a deux cornes, pas droites mais courbées. Elle est de la
grandeur d’un cheval de médiocre taille, d’un poil brun tirant sur le noir ;
elle a le crin et la queue noire, le crin court et peu fourni… avec une corne
droite longue de cinq palmes, d’une couleur qui tire sur le blanc. Elle demeure
toujours dans les bois et ne se hasarde guère dans les lieux découverts. Les
peuples de ces pays mangent la chair de ces bêtes comme de toutes les autres. »
Ambroise Paré cite le chirurgien
Louis Paradis qui décrit une Licorne : «
son poil était couleur de castor, fort lissé, le cou grêle, de petites
oreilles, une corne entre les oreilles fort lissée, de couleur obscure,
basanée, de longueur d’un pied seulement, la tête courte et sèche, le mufle
rond, semblable à celui d’un veau, les yeux assez grands, ayant un regard fort
farouche, les jambes sèches, les pieds fendus comme une biche, la queue ronde
et courte comme celle d’un cerf. Elle était tout d’une même couleur, excepté un
pied de devant qui était de couleur jaune. ».
En 1652, Thomas Bartholin cite « un animal de la grandeur d’un cheval
moyen, de couleur grise comme un âne, avec une ligne noire sur toute la
longueur du dos, et une corne au milieu du front longue de trois spithames ».
En 1690, le Dictionnaire
universel d’Antoine Furetière donne cette définition de l'unicorne : « Il a une corne blanche au milieu du front,
de cinq palmes de longueur... ». Un voyageur portugais décrit des Licornes
éthiopiennes en ces termes : « La Licorne, qu’on trouve dans
les montagnes de Beth en la
Haute Éthiopie, est de couleur cendrée, et ressemble à un
poulain de deux ans, hormis qu’elle a une barbe de bouc, et au milieu du front
une corne de trois pieds, qui est polie et blanche comme de l’ivoire et rayée
de raies jaunes, depuis le haut jusqu’en bas ».
Lieux d'observation
Les récits d'explorateurs
concordent parfois pour situer les Licornes. L'Inde est très souvent citée, de
même que l'Éthiopie, et ces deux pays forment les « terres d'élection des
Licornes ». D'autres témoignages isolés mentionnent plusieurs lieux au
Moyen-Orient, Madagascar, le Caucase, l'Asie du Sud-Est et, plus
exceptionnellement, les côtes est américaines ainsi que le Groenland et
l'Antarctique.
Les Licornes américaines sont
censées vivre près de la frontière canadienne : « des animaux ressemblant à des chevaux, mais avec des sabots fendus,
le poil dru, une corne longue et droite au milieu du front, la queue d’un porc,
les yeux noirs et le cou d’un cerf. » Plus loin dans le même ouvrage, l'auteur
décrit « des chevaux sauvages au front armé d’une longue corne, avec une tête
de cerf, ayant le poil de la belette, le cou court, une crinière pendant d’un
seul côté, les pattes fines, des sabots de chèvres. »
La Licorne survit aux
différentes phases d'exploration de la Renaissance, contrairement à d'autres animaux
légendaires comme le dragon et le griffon qui rejoignent les mythologies et les
récits folkloriques. Lorsque des régions où sont censées vivre les Licornes se
retrouvent entièrement explorées, d'autres récits mentionnent la bête dans des
régions plus inaccessibles encore, comme le Tibet, l'Afrique du Sud et surtout
le centre de l'Afrique.
Ouvrages savants et encyclopédies
Des ouvrages savants consacrés à la Licorne paraissent de la
fin du XVIe siècle au XIXe siècle, dans de multiples encyclopédies, elle
cohabite avec les animaux réels. Ces ouvrages évitent pour la plupart toute
référence aux bestiaires médiévaux et se basent sur les multiples récits et
témoignages, souvent disparates, des explorateurs ayant prétendument croisé des
Licornes. Ils dissertent sur l'existence de l'animal, son apparence et ses
propriétés.
En 1551, l’Historia Animalium de
Conrad Gesner est considérée comme l'une des premières compilations d’histoire
naturelle et connait de nombreuses rééditions. Il consacre six pages à la Licorne et surtout aux
propriétés médicinales de sa corne, mais ne se prononce pas sur la réalité de
l'existence de l'animal.
Ambroise Paré remarque dans son
Discours de la Licorne,
en 1582, une étonnante disparité dans les descriptions de l'animal présenté
tantôt comme un cerf, un âne, un cheval, un rhinocéros voire un éléphant, avec
des différences physiques importantes tant pour la couleur (pelage blanc, noir
ou brun), la taille de la corne, que la forme des pieds. Il qualifie la Licorne de « chose
fabuleuse » et reçoit les foudres de certains théologiens : « S’il y a des Licornes... ce n’est pas pour
ce que l’Écriture Sainte le dit, mais pour ce que réellement et de fait il y en
a, l’Écriture Sainte le dit ». Il remet aussi en doute l'utilisation de la
corne de Licorne comme contrepoison, et procède à une expérience où il met un
crapaud, animal alors réputé venimeux, dans « un vaisseau plein d’eau où la
corne de Licorne avait trempé ». Il retrouve l'animal trois jours plus tard «
aussi gaillard que lorsqu'il l'y avait mis ». L'ouvrage multiplie ainsi les
exemples et les preuves inspirées de la méthode expérimentale pour réfuter
l'existence de la Licorne,
et surtout pour combattre l'usage médicinal de sa corne, très répandu à
l'époque.
L'apothicaire Laurent Catelan
tient un cabinet de curiosités et consacre son Histoire de la nature, chasse,
vertus, proprietez et usage de la lycorne à la défense de la bête, en 1624. Il
oppose les arguments d'Ambroise Paré aux siens, et se base sur les témoignages
d'explorateurs, l’Écriture Sainte et le Re'em pour valider l'existence de la Licorne. Il la décrit
comme une espèce à part entière qui, en fonction de son âge et du lieu où elle
vit, présente des apparences différentes. Violente et féroce, elle se nourrit
de poisons qui se concentrent dans sa corne. Son odorat lui permet de
reconnaître l’eau empoisonnée et sa corne, dont l'intérieur est lui aussi
empoisonné, attire à elle tous les poisons présents dans l’eau par sympathie,
le venin attirant le venin. Cette même corne, très puissante car unique, a le
double du pouvoir des cornes des animaux qui en possèdent deux. L'odorat permet
à la Licorne
de reconnaître la virginité, elle s'évanouit de joie lorsqu'elle rencontre une
vierge. Capturée, la Licorne
se laisse mourir de faim. L'absence de cadavre de Licorne retrouvé entier
s'expliquerait selon lui par le fait que leurs possesseurs ne tenaient pas à se
les faire enlever. Il dit aussi qu'il est impossible de créer de fausses «
cornes de Licorne ».
La constellation de la Licorne aurait été nommée
par l'astronome néerlandais Petrus Plancius en 1613, et cartographiée par Jakob
Bartsch en 1624. Elle apparaitrait sur des travaux de 1564 et Joseph Scaliger
rapporte l'avoir vue sur un ancien globe céleste perse. Il s'agit d'une
constellation moderne et elle n'est pas associée à une quelconque mythologie,
mais nommée ainsi par simple analogie avec l'image de la Licorne légendaire à cette
époque.
La fin d'une croyance
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, la Licorne est parfois encore
considérée comme réelle. La revue de l'orient de 1845 en fait une description
encyclopédique, insistant sur le fait qu'«
elle court toujours en ligne droite car la roideur de son cou et son corps ne
lui permet guère de se tourner par le côté. Elle peut difficilement s'arrêter
quand elle a pris son élan et renverse avec sa corne, ou coupe avec ses dents,
les arbres de médiocre grosseur qui gênent son passage. On compose d'excellents
remèdes avec sa corne, ses dents, son sang et son cœur, qui se vendent très
cher ». En 1853, l'explorateur Francis Galton la cherche désespérément en
Afrique australe, offrant de fortes récompenses pour sa capture : « Les Bushmen parlent de la Licorne, elle a la forme
et la taille d’une antilope, avec au milieu du front une corne unique pointée
vers l’avant. Des voyageurs en Afrique tropicale en ont aussi entendu parler,
et croient en son existence. Il y a bien de la place pour des espèces encore
ignorées ou mal connues dans la large ceinture de terra incognita au centre du
continent ». Le Glossaire archéologique du Moyen Âge, de Victor Gay, en
1883, est le dernier ouvrage à la mentionner comme réelle.
Elle se retrouve sur de nombreux
filigranes de la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle. Ils
possèdent des interprétations symboliques inspirées des signes de
reconnaissances de sociétés secrètes, comme les cathares, les alchimistes, les
sociétés antichrétiennes, maçonniques ou rosicruciennes.
Symbolisme
Avant que Carl Gustav Jung ne lui
consacre une quarantaine de pages dans Psychologie et alchimie en 1944, la Licorne n'intéresse pas
tant psychanalystes et symbologues. Les interprétations symboliques sont
devenues très nombreuses. D'après les bestiaires médiévaux, elle a pour ennemi
naturel l'éléphant et s'oppose plus tard au lion, dont l'aspect solaire et
masculin est l'inverse du sien.
La « lettre du Prêtre Jean », un
faux de la fin du XIIe siècle, raconte le combat entre un lion et une Licorne
en ces termes :
« Le lyon les occit moult subtillement, car quand la Licorne est lassée, elle
se mect de costé ung arbre, et lion va entour et la Licorne le cuyde fraper de
sa corne et elle frappe l'arbre de sy grant vertus, que puys ne la peut oster,
adonc le lyon la tue » — Prestre Jehan.
Le combat de la Licorne contre l'éléphant
et le lion n'est cependant pas un thème artistique médiéval aussi populaire que
celui de sa chasse ou de la purification des eaux.
L'idée selon laquelle la Licorne ne peut vivre qu'à
l'état sauvage, loin des hommes, dans une forêt reculée dont on ne peut
l'arracher, auquel cas elle mourrait de tristesse, est mise en avant par Carl
Jung64 mais trouve son origine dans les bestiaires médiévaux et l'iconographie
du XVe siècle, lorsqu'elle est associée aux hommes, femmes et bêtes sauvages,
ou chevauchée par des sylvains.
À l'époque moderne, la Licorne est parfois
représentée ailée, ce qui lui confère également les attributs de Pégase.
Symbole
Pureté et protection
La Licorne est également vue
comme un animal pur et indomptable. Son pouvoir de déceler les impuretés
renvoie à la fascination que la pureté exerce sur les cœurs corrompus. C'est
une créature farouche, veillant sur le jardin de la connaissance. Androgyne, la Licorne évoque la restauration
de l'état édénique. Elle est l'animal tantrique qui transmute les souillures et
l'un des animaux gnostiques proposant la libération par la connaissance. Elle
guide les artistes vers la vérité adamantine.
Elle est si véloce qu'on ne peut
la capturer vivante, la poursuivre, c'est partir en quête de l'impossible. Pour
les traducteurs de la Torah,
c'est un animal magique, vigoureux, resplendissant et digne d'amour, un ange
gardien qui veille sur l'être ayant conclu une alliance avec elle. Son rôle est
de maintenir l'équilibre face aux forces obscures.
Amour et sexualité
La Licorne symbolise aussi
l'amour et la lumière. Son symbolisme sexuel est explicite car cet animal est
femelle et vierge, mais sa corne de forme phallique est un attribut mâle. Selon
le Dictionnaire des symboles, cette corne peut symboliser une étape de la
différenciation et la sublimation sexuelle, elle est comparable à une verge
frontale, un phallus psychique renvoyant à la fécondité spirituelle.
D'ordinaire, chez de nombreuses espèces animales, seuls les mâles portent des
cornes, la corne de la Licorne
évoque donc la puissance virile. La
Licorne est parfois associée à la lascivité et la luxure,
comme le prouvent quelques statues et des bas reliefs où elle place sa corne
entre les seins nus d'une femme.
Aspect maléfique
C'est l'un des rares animaux à
corne qui ne soit pas présentés comme maléfiques, bien qu'il existe quelques
représentations démoniaques de ces créatures. Elles possèdent alors
généralement une corne courbée, et se laissent chevaucher par des démons ou des
sorcières. Deux textes au moins présentent des Licornes dangereuses et
menaçantes : la légende de Barlaam et Josaphat, et le conte du Vaillant Petit
Tailleur. Selon Carl Jung, la
Licorne peut symboliser le mal, c'est-à-dire l'inconscient,
parce qu'elle est dès l'origine un animal fabuleux et monstrueux.
Alchimie
Contrairement à ce que le
psychanalyste Carl Gustav Jung et ses continuateurs affirment, la Licorne apparaît rarement
et plutôt tardivement dans le pourtant riche bestiaire de la symbolique
alchimique (dans lequel les animaux les plus courants sont les aigles, les
lions, le phénix, les pélicans, les salamandres et les dragons).
Sources alchimiques historiques
Une représentation de la Licorne et de la vierge figure
dans l'une des versions du XVIe siècle du manuscrit enluminé de l'Aurora
consurgens (autrefois attribuée à tort à Thomas d'Aquin). Elle apparaît aussi,
avec des significations différentes, dans deux livres d'emblèmes du tournant du
XVIe siècle et du XVIIe siècle. Dans le poème alchimique De lapide philosophico
(De la pierre philosophale) attribué à un certain Lambsprinck, publié pour la
première fois en 1598 et illustré en 1625, la triade forêt/cerf/Licorne
représente allégoriquement les trois parties de l'homme corps/âme/esprit qui,
dans la théorie paracelsienne, sont utilisés pour représenter les trois «
principes » constituants de la matière : le mercure, le soufre et le sel. Le
cerf ailé symbole se retrouve également associé à la Licorne. Dans une illustration
de la Philosophia
reformata (1622) de Johann Daniel Mylius, la Licorne sous un rosier symbolise l'une des sept
étapes du grand œuvre alchimique.